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lundi 28 mai 2012

L'identité électronique, pour l'Etat, les enfants ou le marché ?

Ecartée de justesse par le Conseil constitutionnel, l'identité électronique revient par la porte de... Bruxelles ! 

Le prétexte en est une Communication de la Commission européenne concernant la protection des enfants sur Internet, qui propose un « cadre paneuropéen d'authentification électronique ». 

"Tellement plus qu’une simple carte d’identité"...
En fait, cette énième communication s'insère dans le cadre bien plus large et plus que confus, qui mélange sécurité, cybercriminalité et « lutte contre la criminalité liée à l'identité » d'un côté, et marché (numérique) unique et développement de l'économie numérique et de la « société de l'information » de l'autre. 

Ainsi, la « stratégie numérique de l'Europe » de 2010 se prolonge dans le Livre vert de janvier 2012 prônant la mise en place d'un marché unique numérique et d'un « espace unique de paiement en euros » sur Internet – on a bien lu : en janvier 2012, la Grèce ayant été le sujet d'un énième sommet extraordinaire visant à éviter l'éclatement de la zone euro et le retour de la drachme, la Commission européenne n'a d'autres priorités que d'instaurer un « espace unique de paiement en euros » sur Internet. Et utilise aujourd'hui la lutte contre la pédopornographie comme outil pour ce faire...  

L'authentification électronique et le filtrage d'Internet par tranche d'âge pour lutter contre la pédopornographie ?

Les sites Euractiv et ZDNet, 03/05/12 ont récemment cité la version de travail d'une communication de la Commission : cette « Stratégie européenne pour un Internet mieux adapté aux enfants » indique que les « entreprises doivent (…) mettre en œuvre des moyens techniques d'identification et d'authentification électroniques » et que Bruxelles « entend proposer en 2012 un cadre paneuropéen d'authentification électronique qui permettra d'utiliser des attributs personnels (l'âge en particulier) pour garantir le respect des dispositions, en ce qui concerne l'âge, du règlement proposé sur la protection des données » et « soutiendra la R&D en vue de mettre au point et de déployer des moyens techniques d'identification et d'authentification électroniques dans certains services à travers l'UE. »

Il s'agirait donc de rassurer des parents angoissés par l'immensité des espaces infinis offerts à l'innocence de l'enfance en les incitant à acheter des lecteurs d'authentification électronique, qu'ils brancheraient sur leur ordinateur et qui permettrait à chaque site web de vérifier l'âge de l'internaute. Une manière de filtrer Internet par tranche d'âge, en mettant en place une carte d'identité électronique.

La carte d'identité électronique et l'espace unique de paiement en euros, ou le mélange des genres

Ce projet de protection de l'enfance n'est pourtant que le sous-marin d'un programme autrement plus « sérieux » de l'Union européenne (UE), qui vise à généraliser la carte d'identité électronique, dans une triple optique d'e-administration, d'e-commerce et de sécurité policière.

Tout cela peut se combiner assez bien, comme on le voit avec la eID belge, dont le principe a été établi par la loi du 25 mars 2003 : en janvier 2010, le ministre de l'ICT Quickenborne annonçait la possibilité d'acheter en ligne son ticket pour un match de football, ce qui présente l'avantage non négligeable dans la lutte contre cet autre fléau des temps modernes, le hooliganisme, puisque « les numéros de la place et de la carte d'identité aboutiraient ainsi dans une base de données » (Le Vif, 14/01/11). Bien qu'un an après, on ne puisse parler de succès, le contrôle d'accès se révélant trop cher pour les stades, la ministre de l'Intérieur Turtelboom annonçait en avril 2011 souhaiter interdire l'accès aux piscines des fauteurs de trouble, « comme c'est le cas pour les hooligans dans les stades » (7 sur 7, 27/04/11). Et les machines à sous contraintes de s'équiper de lecteurs de l'eID...

Au niveau européen, ce mélange des genres commence par le « plan d'action de mise en œuvre du programme de Stockholm » concernant l' « espace de liberté, de sécurité et de justice » (avril 2010), lequel évoque en passant une « stratégie européenne de gestion de l'identité ». Cet « espace de sécurité » a été communautarisé par le traité de Lisbonne (2009), à l'exception notable des cartes d'identité et des passeports (art. 77 TFUE). Or, on voit ré-apparaître cette fameuse stratégie européenne dès le mois suivant, dans une communication portant cette fois-ci sur la « stratégie numérique pour l'Europe », qui prévoit notamment la mise en place du très haut débit, la révision de la directive de 1999 sur les signatures électroniques, et la mise en place d'un « espace uniquement de paiement en euros » (EUPE).

En fait, dès la fin des années 1990, de tels projets d'identité électronique, le cas échéant via une identification biométrique, étaient évoqués par les autorités françaises et européennes. On pensait alors que cela allait relancer la croissance et favoriser l'émergence de la « société de l'information » : on ne pourra guère accuser Bruxelles d'avoir changé son fusil d'épaule ! Mais le 11 septembre est passé par là, et on s'est attaché plutôt à la biométrisation des passeports (règlement européen de 2004). Un an plus tard, la déclaration ministérielle de Manchester fixait à 2010 la deadline pour que les « entreprises et les citoyens européens [puissent] bénéficier de moyens sûrs d'identification électronique » et qu'un « cadre de référence » voire « d'usage de documents électroniques authentifiés » soit adopté par chaque Etat membre.

L'épisode INES et la carte d'identité biométrique en France

Alors que le Royaume-Uni proposait, puis retirait, son projet de carte d'identité biométrique, eut lieu en France l'épisode d'INES (identité nationale électronique sécurisée) : porté par Sarkozy, le projet était retiré suite aux critiques portant sur le mélange des genres, entre carte nationale d'identification et authentification électronique à visée commerciale. Amalgame reproduit dans la proposition de loi relative à la « protection de l'identité », qui vient d'être amputée par le Conseil constitutionnel. Outre le « fichier des gens honnêtes » - censuré - et une puce contenant les données biométriques du porteur - validée -, cette loi prévoyait une autre puce, facultative, lui « permettant de s'identifier sur les réseaux de communications électroniques et de mettre en œuvre sa signature électronique ».

Les Sages se sont auto-saisis de cette disposition, et l'ont censuré au motif que le législateur méconnaissait l'étendue de sa compétence : la loi aurait du préciser les modalités de cette authentification électronique visant à favoriser l'e-administration et l'e-commerce, dans la mesure où elle implique des enjeux liés à la protection de la vie privée et des données personnelles.

L'identité électronique selon l'ANTS-GIXEL

L'UMP avait en effet préféré laissé l'Agence nationale des titres sécurisés (ANTS) s'occuper de ces questions d'apparence « techniques », ce que l'ANTS s'était empressée de faire en collaboration avec... le GIXEL, à savoir le lobby de l'industrie de la carte à puce, qui avait lui-même fortement poussé à l'adoption d'INES puis de la carte d'identité biométrique, et qui s'était fait connaître par sa suggestion d'habituer dès la maternelle les enfants aux dispositifs sécuritaires, notamment via les contrôles d'accès biométriques dans les cantines.




Extrait du documentaire Total Control (Novaprod), réalisé par Etienne Labroue et diffusé en juin 2006 sur Arte.

Pendant que les parlementaires s'étripaient sur le « lien fort » contra le « lien faible », bien peu, au PS, ne remettant en cause le principe même du fichier biométrique, l'ANTS-GIXEL était à pied-d'oeuvre, sur la lancée du programme de recherche financé par l'UE, BioP@ss, qui envisageait deux moyens d'authentification de l'internaute-citoyen-consommateur : soit le traditionnel mot de passe/code PIN, soit la technologie biométrique Match-on-Card, faisant appel à l'empreinte digitale.

Prudente, l'ANTS-GIXEL se contenta de respecter les normes de l'European Citizen Card (ECC) et développa la version française de ce standard, le IAS-ECC. Ainsi, le dernier document technique, de septembre 2011, excluait la biométrie de son champ d'application, en développant un système d'identité électronique en triangle, sur le modèle d'un tiers « fournisseur d'identité » devant valider l'identité de l'internaute pour le site Internet, qu'il soit gouvernemental (modèle de l'e-administration, tel que mis en œuvre au Portugal – cf. schéma ci-dessous) ou commercial (modèle du e-commerce).



Agence de la modernisation administrative (Portugal), la "carte de citoyenneté" (mai 2012).



Le mépris du peuple et la stratégie de légitimation circulaire de la Commission et des Etats

On constate la volonté persistante, tant des Etats que de la Commission, d'imposer à tout prix l'identité électronique, si possible en la cumulant avec la carte nationale d'identité et la biométrie, permettant ainsi de développer, pourquoi pas, la reconnaissance faciale en association avec l'explosion de la vidéo-surveillance. Qu'importe si la contestation de tels projets conduit à les abandonner, comme en France ou au Royaume-Uni.

Les gouvernements reviennent périodiquement à la charge, au risque du paradoxe. Ainsi, lorsque NKM, alors secrétaire d'Etat à l'économie numérique, prônait la mise en place d'IDéNum et d'un « identifiant unique » pour toute relation avec l'administration en ligne, alors même que les experts notaient que «  la création d’un Identifiant Unique [avait] augmenté la fraude à l’identité aux USA en la rendant plus facile et plus rentable » (cf. Vos Papiers! , 16/02/10). 

Et lorsque cela ne marche pas dans l'enceinte nationale, ils se font fort d'en mandater la Commission européenne à travers le Conseil européen, dans une stratégie de légitimation circulaire. Ainsi, en décembre 2010 le Conseil JAI (Justice et Affaires intérieures) justifie le concept large de « lutte contre la criminalité liée à l'identité » précisément parce qu'il « permet d'éviter de plus amples discussions sur les définitions », et de passer outre la différence d'approche des différents pays. Il « appelle » dès lors la Commission à « soutenir les efforts des Etats membres visant à renforcer les procédures d'identification des personnes au sein de l'UE », en citant notamment le plan d'action de mise en œuvre du programme de Stockholm élaboré en avril 2010 par Bruxelles, plan qui évoquait la fameuse « stratégie européenne de gestion de l'identité ». 

Or, ce plan d'action n'était censé n'être que la mise en musique du programme de Stockholm - fixé par le Conseil européen -, lequel indiquait que « le recours à la signature électronique devrait être encouragé dans le cadre du projet « justice en ligne » » et que cela pourrait permettre d'envisager, à terme, la création d' « actes authentiques européens », en supprimant « toute formalité de légalisation des actes entre les Etats membres ». S'il était question des fraudes en matière de permis de séjour et de visas, ce programme - contrairement au plan d'action, fixé par la Commission - n'envisageait aucune « stratégie de gestion de l'identité », pas plus qu'il n'évoquait la lutte contre « l'usurpation d'identité ». Il s'agit là d'une trouvaille de la Commission européenne, que les Etats membres ont rapidement entériné, et recyclé, comme on l'a vu, dans le débat national.

La stratégie numérique de l'Europe ou la « fracture numérique » : comment, et pour quoi faire, des questions non posées...

Bruxelles recycla ensuite le concept de « gestion de l'identité », issu du prisme sécuritaire, dans sa « stratégie numérique pour l'Europe » de mai 2010. Se targuant de sa vision à long terme fondée sur sa « stratégie Europe 2020 », la Commission nous explique que l'« économie numérique » est l'avenir de la « croissance intelligente, durable et inclusive ». Evoquant l'importance à venir du secteur des TIC (technologies de l'information et de la communication), dont on ne sait si ce sont les bâtisseurs des autoroutes de l'information (câbles et fibres optiques, très haut débit soutenu à bout de bras par le GIXEL) ou les marchands de données personnelles et les publicitaires – de Google à Facebook – qui en représentent le cœur, la Commission prétend ainsi que la faiblesse actuelle de l'économie numérique s'explique principalement par trois raisons : les « problèmes de sécurité des paiements », les « problèmes de respect de la vie privée » et les « problèmes de confiance ».

Pour preuve et comme gage de sa légitimité populaire, elle renvoie à un sondage Eurostat 2009, qui indique en fait que plus de 60% des personnes interrogées ont coché la case « Je préfère aller en boutique, voir le produit, fidélité aux commerçants, force de l'habitude », une habitude et une fidélité que ne goûte guère Bruxelles, et que plus de 50% des sondés ont, d'un trait lapidaire, coché « Je n'en ai pas besoin ». La sécurité des paiements n'arrive en fait que troisième, à un peu plus de 30%, avec ensuite environ 10% des sondés qui ont le mauvais goût de ne pas avoir « de carte permettant de payer sur Internet » ou de se plaindre de la « livraison des produits commandés sur Internet ».

Qu'à cela ne tienne ! Si «  150 millions d'Européens – soit environ 30% - n'ont encore jamais utilisé l'internet » (un autre rapport affirme qu'en 2009, 60% des citoyens européens de 16 à 74 ans utilisaient Internet au moins une fois par semaine), c'est tout simplement parce que ce sont des analphabètes modernes, victimes de la « fracture numérique ». Même si la Commission avoue que, certes, ces illettrés numériques sont surtout âgés, au chômage, pauvres ou dotés d'un « faible niveau d'études », on intégrera les « membres des catégories sociales défavorisées dans la société numérique », notamment grâce à « l'apprentissage, l'administration et la santé en ligne » ! Qui ne voit donc qu'il vaut mieux fermer les écoles et les hôpitaux, et centraliser les services administratifs, afin de tout mettre en ligne, où il suffit d'un click de mulet pour être aimablement reçu ? Certes, il faudra, pour cela, leur enseigner la « compétence numérique », l'une des « huit compétences clés (…) considérées comme fondamentales pour un individu vivant dans la société de la connaissance », comme l'avait bien vu la Recommandation du Parlement et du Conseil sur la formation permanente (2006/962/CE). Ayant cependant lu Kant et Jules Ferry, nos éducateurs n'oublient pas de préciser que « pour être en mesure d'apprendre, il est essentiel de maîtriser les compétences de base dans les langues, l'écriture et la lecture, le calcul et les technologies de l'information et de la communication (TIC), et pour toute activité d'apprentissage, il est fondamental d'apprendre à apprendre. » Voilà un conseil idoine pour notre chère ministre déléguée chargée de la réussite éducative, George Pau-Langevin...

A lire cette prose, qui sous-entend que les 60% de personnes interrogées préférant faire du commerce « en vrai » plutôt que d'acheter sur Internet seraient, en fait, des illettrés numériques, terrifiés par le manque de confiance et les risques de « vol d'identité » et de fraude bancaire, on se demande qui tient la plume à Bruxelles ?

Relisons, pour la forme, ces injonctions du GIXEL, lequel estimait qu'il était « urgent de lancer le projet de déploiement national de la Carte Nationale d'Identité Electronique et des outils sécurisés IdéNum basé sur l'écosystème IAS ECC ». Ou encore le célèbre Livre bleu du GIXEL de juillet 2004, qui militait pour l' « Internet Très Haut Débit », la « Télévision Haute Définition », l' « Automobile intelligente et sécurisée », la « domotique », les « TIC pour la santé », et l' « identité numérique » et la « sécurité du territoire » via la biométrisation.

Il s'agissait aussi de « réduire la « fracture numérique » », de « réformer l'administration pour réduire les coûts de fonctionnement de l'Etat » en généralisant « les applications de type e-gouvernement et e-éducation » et ainsi « faire « basculer » les administrations, nationales et locales, les services publics vers une utilisation massive des nouvelles technologies, dont le haut débit constitue un point de passage obligé »... et profitable ! Pour le haut débit, on pourrait fixer « de façon volontariste » des « objectifs quantifiés », ce que fait Bruxelles via ses objectifs de benchmarking. Enfin, habituer dès la maternelle les enfants, mais aussi favoriser l'identité numérique, et ainsi permettre aux firmes françaises et européennes de « conforter leur place dans le monde en faisant référence à des réalisations concrètes de grande ampleur en Europe », du e-paiement à l'utilisation des téléphones pour les achats en passant par les contrôles d'accès, physique ou logique (sécurité informatique).

L'espace unique de paiements en euros, priorité pour 2012-2020 ?

Toutes ces initiatives, qui concordaient déjà avec les programmes de recherche bénéficiant des subsides de l'Europe, demeurent, huit ans plus tard, plus que d'actualité – du moins aux yeux de Bruxelles et des Etats membres.

Développant la « stratégie numérique » de 2011, la Commission publiait en janvier 2012 un Livre Vert intitulé "Vers un marché européen intégré des paiements par carte, par internet et par téléphone mobile". On y lit :
« Le SEPA (espace unique de paiements en euros, EUPE), qui constitue la première grande étape de ce parcours, repose sur l’idée première qu’il ne devrait pas y avoir de distinction dans l'UE entre les paiements de détail électroniques en euros selon qu'ils sont transfrontaliers ou nationaux. »
Le Livre continuait : «  L'Europe a [ainsi] l’occasion d’être à la pointe du progrès pour gérer les évolutions futures de l’«acte de payer», qu'il s'effectue par carte de paiement, sur internet ou à l’aide d’un téléphone portable ».

C'est ce marché unique, y compris pour les sites pour enfants, qui est l'objectif central de Bruxelles, à l'heure de l'implosion de la zone euro. Bruxelles, soutenu par les Etats, ignore, pour ce faire, tant les résistances citoyennes, en France et au Royaume-Uni, que les différences sociales et culturelles entre pays concernant l'encartement et l'identification biométrique.

Pendant ce temps-là, Londres, dont le projet de carte identité biométrique est tombé à l'eau, tente de réorienter le débat vers la gestion privée de l'identité, à savoir le fait que l'identité électronique ne soit pas garantie par l'Etat, mais par des fournisseurs privés. On s'étonne d'ailleurs de ce que les libéraux ne défendent pas davantage ce modèle, préférant entretenir le mélange des genres entre identité certifiée par l'Etat, à des fins d'état civil et de sécurité, et identité électronique visant à généraliser le commerce électronique. 
 

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vendredi 18 mai 2012

La carte d'identité est-elle devenue obligatoire?

Si le second projet de carte d'identité fichier biométrique a explosé en plein vol, suite à la censure par le Conseil constitutionnel du fichier national à « lien fort », la loi du 27 mars 2012 sur la « protection de l'identité » a tout de même rajouté un article, selon lequel « L'identité d'une personne se prouve par tout moyen. La présentation d'une carte nationale d'identité ou d'un passeport français en cours de validité suffit à en justifier. »

[Add: elle précise par ailleurs que la nouvelle carte d'identité sera bien biométrique, puisqu'elle comportera une puce stockant les empreintes digitales, auxquelles auront accès les "les agents chargés des missions de recherche et de contrôle de l'identité des personnes, de vérification de la validité et de l'authenticité des passeports et des cartes nationales d'identité électroniques".]

Or, l'art. 78-3 du Code de procédure pénale indique depuis la loi du 10 juin 1983 ayant réglementé les contrôles d'identité: « Si l'intéressé refuse ou se trouve dans l'impossibilité de justifier de son identité, il peut, en cas de nécessité, être retenu sur place ou dans le local de police où il est conduit aux fins de vérification de son identité. » Le cas échéant par « prise d'empreintes digitales ou de photographies »...

La conjonction de ces deux articles conduit a priori au syllogisme suivant: puisqu'il « suffit » d'avoir une carte d'identité ou un passeport pour « justifier de son identité », et qu'en cas d'impossibilité de justifier son identité on peut être contraint d'aller au poste pour vérification d'identité », ne faut-il pas conclure a contrario que l'absence d'un tel document d'identité conduit à ne pas pouvoir justifier de son identité, et donc à être éventuellement embarqué au poste ?

Si une telle interprétation se vérifiait à l'avenir, on serait néanmoins tenté de considérer ce nouvel article de loi comme la simple légalisation d'une pratique officieuse pré-existante. En effet, et contrairement à ce qui a été ici et là affirmé lors du débat sur le « fichier des gens honnêtes », la carte d'identité est, dans les faits, largement obligatoire. Bon nombre de citoyens ont sans doute déjà fait l'expérience d'une vérification d'identité au poste au motif qu'ils avaient oublié leurs cartes chez eux ; sans compter que même les entreprises privées - par exemple, Bouygues Telecom -, exigent celle-ci pour toute démarche.  Y compris lorsqu'il s'agit d'une déclaration de vol de portable, et même si les papiers ont été volés à la même occasion !

Add. : pour les amateurs d'anecdote: Sans carte d'identité, mon bébé de 5 mois a été privé d'avion, Rue 89, 10 janvier 2011

Add.: pour un exposé détaillé, cf. La carte d'identité obligatoire: histoire d'un non-débat, Vos Papiers!, 30 mai 2012



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jeudi 14 octobre 2010

Voile: le Conseil des sages valide une version bêta

Mots-clés d'une cinquantaine d'articles de presse
« La burqa n'est pas la bienvenue sur le territoire de la République», déclarait le 22 juin 2009 le président Sarkozy lors de son adresse au Congrès réuni à Versailles. Un an plus tard, le Sénat confirme, par vote conforme, le projet de "loi interdisant la dissimulation du visage dans l'espace public". Et le 7 octobre 2010, le Conseil constitutionnel (CC) valide cette loi (décision n°2010-613).

Entre deux, une Mission d'information sur le port du voile intégral sur le territoire national auditionnait divers représentants de la "société civile", ayant des visions contradictoires de la laïcité... parfois erronées, comme le signalait deux jeunes filles ne représentant qu'elles-mêmes, les Niqabitch, qui ont paradé en "burqa-mini-short" devant le Ministère des Anciens Combattants et celui de l'Identité nationale.

Résumé 

Après avoir repris les principaux points de cette loi, dont notamment le "stage de citoyenneté" prévu pour ceux qui ne respecteraient pas l'interdiction générale édictée, en nous appuyant sur les principaux commentaires autorisés, on verra qu'on ne peut guère attendre de la Cour européenne des droits de l'homme autre chose qu'une censure probable de la loi. Certes bienvenue, il est douteux que celle-ci mette un point d'arrêt à la tendance au contrôle des corps et des esprits manifestée par cette loi et bien d'autres mesures que nous évoquerons au passage. 

"Nul ne dissimulera volontairement son visage"

Nous ne reviendrons pas sur la tartufferie de cette loi, moquée par Maître Eolas, qui conduit à faire de l'obligation d'identification un principe républicain, généralisant ainsi l'esprit du contrôle d'identité, naguère réservé à la police, à toute personne, qu'elle soit boulangère ou chômeuse.

Le premier des 7 articles de la loi dispose donc:
Nul ne peut, dans l'espace public, porter une tenue destinée à dissimuler son visage.
Saisi par le président du Sénat et de l'Assemblée nationale, qui avaient voté la loi, le CC a validé celle-ci, à la seule et unique réserve qu'elle ne s'applique pas aux "lieux de culte ouverts au public".

Précision ressentie comme indispensable, dans la mesure où la loi étend de façon inédite la notion d'espace public non seulement aux voies publiques, mais aux "lieux ouverts au public ou affectés à un service public" (art. 2). Donc également aux espaces privés, hormis le domicile. Précision faite au nom du respect de la liberté de religion, enjeu véritable et dissimulé de la loi, le législateur ayant encore le droit d'avancer à visage masqué.

D'ailleurs, la religion n'est pas visée ici. Comme l'affirmait sans crainte de la contradiction Jean Glavany, ex-chef de cabinet de Mitterrand à l'Elysée et ex-ministre de Jospin, lors des débats parlementaires:
Il y a un consensus sur le fait qu’il n’y a aucune indulgence à avoir pour des pratiques qui ne sont pas des pratiques religieuses, mais bien des pratiques intégristes et extrémistes. En revanche, nous sommes pour notre part très réticents, voire opposés à une interdiction générale.
Saint-Nicolas du Chardonnet et la Fraternité Saint-Pie X récemment réhabilitée par le Pape seront contents de savoir que durant plusieurs décennies, ils ne suivaient pas une pratique religieuse.

Une saisine "blanche" des deux présidents des Chambres, première depuis 1959

Comme toute décision d'un Conseil des sages "créé par inadvertance" (Georges Vedel), celle-ci a été commentée et critiquée par les juristes. La saisine, rappellent-ils, était "blanche", à savoir qu'elle n'était assortie d'aucune argumentation précise, laissant donc au Conseil le choix d'examiner la loi sous l'angle des principes qu'il jugerait pertinent. "Un truc nouveau et génial: vous saisissez un tribunal sans préciser vos arguments", écrit, sarcastique, Me Devers. "Le CC, saisi d’aucun argument, va se contenter d’un survol à haute altitude", ajoute Me Eolas.

Saisine inhabituelle, par ailleurs: le Conseil rappelle que c'est la première fois depuis 1959 que les deux Chambres le saisissent simultanément par la voix de leur président.

Etant donnée la peur tétanisant les nerfs des états-majors à la simple idée de remettre en cause la "xénophobie si naturelle du bon peuple", nul ne s'étonnera qu'aucun groupe de parlementaire n'ait usé de son droit de saisine. Tout comme pour l'insécurité, des pontes du PS se gargarisant désormais d'être devenus "réalistes", les politiques prétendent "refléter" l'opinion populaire en agitant ces chiffons rouges. Ils oublient qu'en légitimant la xénophobie, ils contribuent à la produire, de la même façon que TF1, récemment cité implicitement par ce monsieur âgé ayant tiré à la carabine sur deux femmes "Roms", dont l'une mineure, en train de le cambrioler. Et on peut croire, avec E. Fassin, qu'"il n'est plus forcément payant de jouer cette carte."  

Le dilemme du Conseil: valider une loi hypocrite, ou faire preuve de courage?

On l'avait indiqué : beaucoup de juristes pensaient que le Conseil était placé devant un dilemme. Il devait soit valider une loi hypocrite, soit la censurer en s'exposant aux critiques selon lesquelles il favoriserait l'islamisme (sic).

Une loi hypocrite, visant une pratique salafiste sous le prétexte d'identification et d'ordre public, "trop large et trop étroite" comme l'indique le juriste Jules.

Trop large, puisque l'interdiction dépasse le port du voile - sans parler de la burqa, pratique tellement marginale que les RG sont incapables de la chiffrer (rappelons que le Ministère de l'Intérieur comptait 1 900 femmes portant un voile intégral, c'est-à-dire un niqab, dont 2/3 de françaises, et que selon l'étude sociologique de Maryam Borghée, 60% d'entre elles seraient converties - le niqab est porté par des Françaises, en d'autres termes, dont une partie vivant dans des bleds de campagne, d'origine catholique, etc.).

Trop étroite, puisque s'il s'agissait de défendre la dignité de la femme, celle-ci ne s'arrête pas aux portes du domicile, ni à celles du "lieu de culte ouvert au public" - ouverture qui permettra aux jeunes lycéennes, désireuses de mettre à l'épreuve les fabuleuses capacités d'interprétation des juges, de voiler intégralement leur visage lorsqu'elles se rendront à l'aumônerie catholique de leurs lycées publics et laïcs...

Soit, au contraire, il faisait preuve de courage et invalidait une loi démagogique et mal ficelée...
  • qui prétend ne pas parler de religion bien qu'elle ne vise en pratique que cela, ce qui l'oblige à généraliser une interdiction préoccupante de porter des tenues "destinées à se dissimuler son visage" (sauf les exceptions techniques relatives aux apiculteurs, etc., et, comme l'indique ironiquement Me Eolas, toute exception prévue par décret: ce qui donne au pouvoir réglementaire toute latitude pour suspendre, de fait, la loi);
  • qui clame à l'urgence du trouble à l'ordre public constitué par le port du niqab, tout en accordant un délai de 6 mois à la mise en œuvre de la loi, incohérence soulignée par la députée radicale de gauche Sylvia Pinel ;
  • qui prétend défendre les femmes en les soumettant à des procédures pénales;
  • qui considère, comme le rappelle Me Devers, que "les femmes dissimulant volontairement leur visage renoncent à la liberté".
Quand un député propose d'intégrer Rousseau et la transparence au bloc de constitutionnalité

Nous ne reprenons pas l'ensemble des commentaires des juristes sus-cités, et la place nous manquerait pour faire le bêtisier intégral des débats de l'Assemblée nationale.

Un summum est atteint par le député UMP de l'Ain, Charles de La Verpillière, qui étend le fameux "bloc de constitutionnalité" au Contrat social de Rousseau et fait de la "confiance" une valeur républicaine:
il y a dans notre bloc de constitutionnalité des principes sur lesquels peut s’appuyer cette interdiction générale et absolue : la dignité humaine, la fraternité, et aussi la confiance. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen s’inspire en effet largement des écrits des philosophes des Lumières, parmi lesquels le Contrat social de Jean-Jacques Rousseau : pour vivre ensemble en société, il faut pouvoir se faire confiance, ce qui implique de pouvoir s’identifier et d’agir à visage découvert.  
Diable! M. de La Verpillère proposerait-il de revenir à cet "état de nature" décrit dans le Discours sur les origines de l'inégalité, avant qu'"être et paraître [ne] devinrent deux choses tout à fait différentes"? Revenir à la confiance et à la transparence, ce merveilleux projet qui faisait dire à J. Starobinski, dans La transparence et l'obstacle, que Rousseau était possédé par son "affaire Jean-Jacques" et une légère pointe de paranoïa? Il faudrait relire tout Rousseau à la lumière de cette fascinante déclaration de notre député de l'Ain et du débat sur le voile, nul doute qu'il n'y ait là sujet à analyses... 

La "dissimulation forcée du visage", ou du bon usage du budget de la Justice

On s'amusera aussi de ce que le maire Nouveau Centre de Drancy, Jean-Christophe Lagarde, se pare de son "expérience directe" des femmes voilées pour prétendre "certifier que c'est parfois une réelle contrainte qui s'exerce sur les jeunes filles" - tout étant dans le "parfois", qu'aucun rapport sociologique n'est parvenu à chiffrer, puisque la Mission parlementaire dirigée par A. Gerin a considéré que la simple audition de quelques personnalités "qualifiées" suffisait à remplacer cette enquête nécessaire.

L'art. 4 sur la "dissimulation forcée du visage" a certes l'avantage de prendre en compte ce "parfois", et aussi celui de dépenser les ressources inépuisables du Ministère de la Justice pour organiser des procès où il faudra prouver cette contrainte. Nul doute que le contribuable serait heureux d'apprendre que le gouvernement UMP défende avec tant d'opiniâtreté la condition économique et sociale de tous les précaires avec autant d'ardeur qu'il met à protéger l'"identité nationale" des assauts lui venant de "l'ennemi intérieur", ces quelques centaines de jeunes femmes, pour la plupart converties, dans leur très large majorité françaises.

La "pratique radicale de la religion", une pratique anti-française requérant une ré-éducation citoyenne?

Certes, leur qualité de français pourrait être remis en cause vu que la "souveraineté nationale" a considéré qu'il s'agissait là de pratiques incompatibles avec la République française, de la même façon que le fait de tuer des policiers, pratique quotidienne paraît-il, puisse désormais constituer un motif de déchéance de la nationalité pour ceux naturalisés depuis moins de dix ans.

Rappelons ici les propos du sociologue Samir Amghar:
Dénué de volonté d’implication dans les sociétés européennes et de projet politique autre que l’attente messianique, [le salafisme] défend une vision apolitique et non violente de l’islam, fondée sur la volonté d’organiser toute son existence sur les avis religieux des savants saoudiens. (...) Leur apolitisme les pousse même à inciter les musulmans de France à ne pas participer aux manifestations contre l’invasion de Gaza par l’armée israélienne, les mettant en porte à faux avec les associations pro-palestiniennes.
Rappelons aussi que le Conseil d'Etat a déjà jugé que la "pratique radicale de la religion" pouvait amener à refuser l'obtention de la nationalité par déclaration après mariage au nom du non-respect de la condition d'"assimilation". Non seulement le nombre de femmes à niqab ayant obtenu récemment la nationalité est-il infime, la majorité ayant acquis la nationalité française à la naissance, comme tout "bon Français" (sic), mais en plus il s'agit déjà d'une condition rédhibitoire à la naturalisation. Pour une fois, la sociologie et le droit concordent pour dire la même chose: ce problème ne concerne pas les étrangères.

Bien sûr,  on pourrait imaginer demain une nouvelle loi qui établirait une déchéance de nationalité pour toute "pratique radicale de la religion", ce qui ravirait les "Versaillais" et autres enfants de cœur. En effet, n'est-ce pas envisageable, puisque:
  • certains députés considèrent que la "pratique radicale de la religion" sort du cadre de la religion; 
  • que le Conseil constitutionnel s'appuie sur l'art. 10 de la Déclaration de 1789 pour appuyer la limitation de la liberté de religion lorsque "l'ordre public" est en jeu, et qu'il considère ici que porter un habit constitue une telle menace généralisée ; 
  • que cette notion d'ordre public est étendue à "l'ordre public immatériel", c'est-à-dire aux "valeurs fondamentales de la République" que ce même gouvernement n'hésite pas, selon la Commission européenne et bien d'autres, à piétiner lorsqu'il s'agit des Roms et de tant d'autres
  • et qu'enfin, cette loi inepte interdit une pratique religieuse (n'en déplaise à Me Devers, avec qui nous concordons sur tout le reste, il faut bien admettre que la liberté de conscience implique des pratiques; ne devient-on pas croyant en priant, comme le disait un bon Français insuffisamment catholique aux yeux du Pape) ?
Sans aller jusqu'à déchoir de leur nationalité les tenants de pratiques radicales de la religion, cette loi a institué en tant que mesure, complémentaire ou substitutive, à l'amende prévue un "stage de citoyenneté". Prévu à l'art. 131-16 du Code pénal, ce stage de rééducation a été introduit par la loi Perben II (loi du 9 mars 2004 "portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité"). Non seulement on contrôle l'assimilation du candidat à la naturalisation, mais en plus tout citoyen français peut être soumis à un camp de ré-éducation citoyenne stage de citoyenneté pour lui apprendre à être Français et républicain ! On imagine en effet que les tribunaux ne vont pas pousser le vice jusqu'à faire passer un tel stage aux étrangères prises en flagrant de délit de dissimulation du visage...

J'attends avec impatience que cette salutaire rééducation citoyenne, qui va de pair avec le contrôle de la conscience des aspirants-professeurs passant leur CAPES (voir ici et ), soit étendue au droit des affaires pour les "patrons-voyous", à la Scientologie pour ses escroqueries qui, depuis un amendement malencontreux, ne suffisent plus à dissoudre les personnes morales; à ceux qui manifestent une pratique tellement radicale de la citoyenneté qu'ils jugent totalement inutile de voter ou/et de manifester; et aux cheminots et professeurs qui ont l'audace de radicaliser le droit de grève constitutionnellement protégé jusqu'à mettre en péril la "continuité du service public" ! Ainsi, tous ces mauvais citoyens auront la chance de rencontrer d'éventuels animateurs de télévision assujettis à de tels stages pour frasques diverses, ce qui alimentera au moins les shows-télé...  
Plus sérieusement, ce stage, conçu comme "mesure alternative à la peine", fait partie de la panoplie disciplinaire allant de la prison à l'école en passant par toutes les formes différentes de "centre d'éducation fermés" ou de "prison à l'air libre", si bien qu'on ne sait plus trop bien quand on est en prison ou à l'école. En bref, ne sachant trop s'il fallait condamner ces pauvres femmes à payer l'amende ou à effectuer quelque chose de plus "enrichissant", le législateur s'est dit que cette mesure intermédiaire à la portée moralisante explicite, à défaut d'avoir une efficacité prouvée, serait à même de répondre au véritable défi social posé par la présence de quelques centaines d'individus rejetant les us et coutumes partagés par la plupart de la société. 

La Cour européenne des droits de l'homme et le contrôle des corps & des consciences

Félicitations ! Le Conseil constitutionnel a donc validé une loi :
  • étendant la notion d'espace public aux espaces privés ; 
  • généralisant l'obligation d'identification et le devoir de s'identifier vis-à-vis de toute personne, et non plus seulement lors des contrôles d'identité; 
  • ciblant une catégorie spécifique de la population, les femmes musulmanes, tout en prétendant s'adresser non seulement à tout citoyen français, mais à toute personne se rendant en France ; 
  • considérant que la liberté de religion ne s'exerce que dans les lieux de culte, et ne doit pas se manifester en public, en contradiction totale avec les principes de laïcité établis par les Lumières; 
  • constituant une ultra-minorité de salafistes qui feraient la joie des psychanalystes en "ennemi intérieur" n°1, ce afin de défendre une "identité nationale" jetant aux orties les principes fondamentaux de la République tout en prétendant les défendre.
N'ayant guère plus de courage politique que nos élus, cette décision n'a rien d'étonnant. Mais ces sages n'ont fait que valider une version bêta de la loi : outre les QPC (questions prioritaires de constitutionnalité),  sur lesquelles s'est penché Thomas More - encore un qui refuse de se faire identifier !-, il faut encore attendre que cette loi passe devant la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), dont l'ombre n'a cessé de planer sur débats.

La CEDH s'est prononcé en février 2010 dans une affaire similaire (Ahmet Arslan et autres c. Turquie), dans laquelle elle rappelait la "liberté de manifester sa religion". Une liberté que tout athée devrait défendre en ce qu'elle inclut aussi celle de manifester son athéisme, fondant ainsi la laïcité. Vu cette affaire, à moins qu'elle n'entérine la soi-disante "menace à l'ordre public" invoquée par cette loi, et donc généralise, elle aussi, la notion d'espace public à la défense d'une interprétation plus que controversée des principes de laïcité et, en général, des principes républicains, la Cour de Strasbourg censurera, heureusement, cette loi scandaleuse.

Ce d'autant plus que l'Assemblée du Conseil de l'Europe vient d'adopter une résolution contre l'islamophobie, dans laquelle elle accepte les restrictions ciblées et locales au port du voile - telles, par exemple, que pratiquées en France avant cette loi - mais refuse une interdiction généralisée portant atteinte à la liberté de conscience:
d’inviter les Etats membres à ne pas adopter une interdiction générale du port du voile intégral ou d’autres tenues religieuses ou particulières, mais à protéger les femmes contre toute violence physique et psychologique ainsi que leur libre choix de porter ou non une tenue religieuse ou particulière, et de veiller à ce que les femmes musulmanes aient les mêmes possibilités de prendre part à la vie publique et d’exercer des activités éducatives et professionnelles; les restrictions légales imposées à cette liberté peuvent être justifiées lorsqu’elles s’avèrent nécessaires dans une société démocratique, notamment pour des raisons de sécurité ou lorsque les fonctions publiques ou professionnelles d’une personne lui imposent de faire preuve de neutralité religieuse ou de montrer son visage

Mais il n'y a pas de quoi se réjouir. Non seulement le Parlement, accompagné du Conseil constitutionnel et d'une partie des médias, se seront ridiculisés en suivant à la botte les pistes énoncées par Sarkozy lors de son discours de juin 2009.

Comme d'habitude, tous s'en remettent à l'Europe pour faire leur "blanchiment de politique", ou policy-laundering comme on dit outre-manche pour critiquer cette tendance à rejeter la responsabilité sur l'Europe... on peut s'attendre à des éclats nationalistes contre Strasbourg venant de la part de la représentation nationale ayant voté, en toute conscience, une loi allant à l'encontre de la Convention européenne des droits de l'homme. Ce qui, au passage, montre à quel point les mêmes principes, inscrits dans la Déclaration de 1789 ou dans la Convention européenne, peuvent faire l'objet d'interprétations divergentes de la part des juridictions.

Mais même en cas de censure, en aucun cas la CEDH n'aura-t-elle mis un coup d'arrêt à la fâcheuse tendance à généraliser l'obligation d'identification, déjà portée par le décret sur les cagoules, le passeport biométrique, les projets d'identité numérique et de carte d'identité biométrique, ni non plus la tendance autoritaire à contrôler tant les consciences que les corps. Spinoza, à l'aide !!! 


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