Niqabitch secoue Paris from NiqaBitch on Vimeo.
Lisez aussi leur tribune sur Rue 89, où ces filles disent avec raison:
Mais la stigmatisation d'une communauté (en l'occurrence peu nombreuse), qui se profile avec le vote de cette loi, nous semble traduire davantage un besoin démentiel de la République de reprendre le contrôle sur le corps de ses citoyens, que l'application d'un pouvoir légitime dont dispose l'Etat.
Auparavant, ces filles avaient déclaré:
Nous n'avons certes pas monté d'association, ni manifesté notre réticence à cette loi en défilant dans les rues, mais plutôt fait le choix de détourner la représentation classique que l'on a du niqab.
Comment ne pas être d'accord avec elles, qui ont épinglé ce "contrôle sur le corps" qui va de la législation sur la manière de s'habiller à la biométrie? Remarquons, toutefois, qu'étrangement, elles parlent de "contrôle [de la République] sur le corps de ses citoyens", et non "de ses citoyennes". Serait-ce une volonté, toute "républicaine", de se démarquer de toute revendication "identitaire", signalée par la deuxième citation? Une volonté de représenter, d'une certaine façon, l'universel, possibilité souvent déniée aux femmes?
On peut en effet lire ce remarquable coup d'"agit-prop", et le texte qui l'accompagne, avec ce qu'écrit Rada Iveković. Celle-ci déclare par exemple:
Ce qui s’occupe à brimer la dimension féministe et sexuée des révoltes, ce n’est pas un lieu de pouvoir, celui de l'Etat ou de l’ordre établi. Ce sont aussi les divers pouvoirs alternatifs et concurrents, tous capables et désireux de coalition hégémonique pour parer la voie aux femmes.
La dimension individuelle de l'action revendiquée pourrait-elle être lue, au risque d'une sur-interprétation, à l'aune de cette pensée? Il faut toutefois remarquer que si le corps des populations fait l'objet d'un contrôle de l'Etat (conceptualisé par Foucault dans les termes de la biopolitique), le corps des femmes, en particulier, a toujours été central: "l’ordre des sexes est constituant de la nation", énonce ainsi Iveković. Cette loi inepte interpelle bien évidemment l'ensemble des résidents de France, au-delà des seuls "nationaux" (qui eux-mêmes ne forment pas une classe homogène comme l'indique le récent amendement terrifiant - heureusement rejeté - proposé par les députés UMP Dominique Tian et David Douillet et visant à distinguer le droit du sol de la métropole de celui de l'outre-mer)... et même au-delà. Toutefois, il est évident qu'elle concerne d'abord et avant tout les femmes. Comme le dit encore Rada Iveković à propos de la polémique, déjà vieille, sur le "voile à l'école":
Interdire le voile aux filles ou le leur imposer : les deux, et surtout les deux ensemble quand ils font système, ce qui est le cas, signifient aux intéressées qu’elles ne sauraient prendre de décision autonome sur ce qui les regarde . Les deux positions semblent intraduisibles l’une à l’autre. Toutes deux signalent la subordination des filles quoique différemment, et escamotent les autres aspects de la question en posant la société (présumée laïque) contre la communauté (supposée religieuse). Il est illusoire de prétendre abolir une discrimination (celle des filles, prétendument seulement en banlieue – à être défendues par l’Etat de leurs hommes et ainsi « civilisées ») en en introduisant une autre (l’exclusion des filles voilées de l’enseignement). Toucherait-on ainsi à un détail vestimentaire masculin ?
Dans ce pied-de-nez, qui mêle une sorte de mixte entre le niqab et la burqa avec le mini-short, on peut s'aventurer à entendre le rire moqueur à l'égard des différentes formes de domination sexiste, tant dans l'interprétation "néo-archaïque" du wahhabisme que dans sa version "national-républicaine" (pour reprendre E. Balibar). Il s'agit bien, ici, de tourner en dérision "la territorialisation de la nation par et dans les corps des femmes" dénoncée par Iveković, qui considère qu'il s'agit là du "dénominateur commun, toute proportion gardée, qui existe entre la manière comment les femmes ont été traitées dans la partition de l’Inde, dans celle de la Yougoslavie par les viols de masse, et dans les revendications des uns et des autres par rapport à l’appartenance des femmes à la communauté laïque ou à la communauté religieuse (musulmane) en France lors du débat sur le voile."
La seule remarque, en bémol, devant cette performance offrant l'opportunité à des femmes non-représentées, rétives à toute appartenance autre que celle de la République dans ce qu'elle a de meilleur, concerne la chute de l'article sur "l'alibi sécuritaire": rappelons que dans son rapport, le Conseil d'Etat avait souligné que la réglementation existante permettait parfaitement de répondre à ces enjeux (voir notre article, Du voile à l'obligation d'identification : libertés publiques ou religion?).
Remercions donc Niqabitch pour leur compréhension explicite et humoristique de la laïcité bien plus cohérente et historiquement fidèle que celle de l'Union des familles laïques, qui a pu tenir des propos invraisemblables devant la Commission sur le port de la "burqa" (sic). Et si à la prochaine table ronde ministérielle consacrée à la laïcité, l'"identité nationale" et les femmes, le Ministre invitait Niqabitch?
Merci d’éviter de reproduire cet article dans son intégralité sur d’autres sites Internet et de privilégier une redirection de vos lecteurs vers notre site et ce, afin de garantir la fiabilité des éléments de webliographie.