La biométrisation des titres d'identité et de transport se poursuit, en France sous l'égide de l'Agence nationale des titres de sécurité. Alors qu'un nouveau projet de carte d'identité biométrique se profile, après l'échec d'INES, une directive européenne de décembre 2006 sur les permis de conduire fournit l'alibi nécessaire à la France pour nous faire passer au "nouvel âge biométrique".
40 millions de permis... et davantage en euros !
C'est ce qu'annonça Le Figaro du 1er février 2011, en titrant "L'Etat prépare 40 millions de permis électroniques". En fait, des permis biométriques, puisqu'ils "prendront la forme de cartes à puce semblables à des cartes bancaires, avec photo du titulaire gravée dans la masse, mais aussi enregistrée dans la puce, tout comme sa signature électronique. Éventuellement, pourront figurer ses empreintes digitales, et des perfectionnements dont Le Figaro a pu percer les secrets."
Distribués au rythme de 2 millions par an, ils devraient avoir entièrement remplacé le permis rose d'ici 2033, pour un coût de développement de 40 millions d'euros et un coût de fonctionnement du système d'édition des titres, assuré par l'Agence nationale des titres sécurisés, de 20 millions d'euros supplémentaires par an. "Il est permis de s'inquiéter", titrait ainsi La lettre du cadre (02/02/11), qui rappelle le précédent fâcheux, pour le budget des municipalités, du passeport biométrique et de la carte d'identité sécurisée.
Rappelons derechef que, contrairement à ce qui a été colporté, ce nouveau permis ne changera rien concernant la possibilité de consulter ses points sur Internet, puisque cela existe déjà.
La directive européenne, alibi ou cheval de Troie?
Officiellement, la France ne ferait qu'appliquer la directive européenne 2006/126/CE. Seulement, celle-ci n'impose en aucun cas la biométrie, bien que l'art. 8 prévoie la possibilité d' "adapter au progrès scientifique et technique" les annexes spécifiant les formats standards et techniques du permis de conduire. Ces modifications éventuelles, faites au nom du "progrès", suivent la procédure de comitologie instaurée par la décision 1999/468/CE (art. 5 à 8), la Commission européenne étant assistée d'un Comité du permis de conduire, dans lequel siège des représentants des Etats-membres. Bref, le passage à la biométrie se fera, à l'échelle européenne, de façon toute technocratique...
Un permis de conduire "sur mesure"
Pour l'instant, cependant, l'Union européenne s'est contentée - sécurité routière oblige - d'imposer des restrictions assez importantes concernant l'aptitude physique et mentale des conducteurs (directives 2009/113 et 114, transposées en droit français par l'arrêté du 31 août 2010). Cette réglementation conduit à fabriquer des permis de conduire plutôt détaillés, puisque ceux-ci, selon la directive de 2006 (p.13 à 17), indiqueront les différentes affections du conducteur (vision, audition, etc.), avec, le cas échéant, les restrictions de conduite (interdiction de conduite de nuit, véhicule adapté, etc.). En d'autres termes, il comporte des données de santé permettant d'individualiser le conducteur et d'établir des permis "sur mesure".
Les dispositions techniques du permis européen
S'agissant de la biométrie, la directive n'impose rien, mais autorise les Etats-membres à mettre en œuvre des mesures de sécurité supplémentaires.
L'annexe I, révisable par le Comité du permis de conduire, impose uniquement d'adopter une carte en polycarbonate, plutôt que le carton rose français, qui doit répondre aux normes ISO 7810, ISO 7816-1 et ISO 10373, qui traite spécifiquement des permis de conduire mais standardise aussi les tests techniques à faire subir à ces documents.
La première (ISO 7810) fixe le standard international minimal en matière de documents d'identité, et est souvent utilisée pour les cartes de crédit - qui n'échappent pas au mouvement de biométrisation (La carte VISA biométrique débarque en France, Vos Papiers!, 02/04/2010).
La seconde (ISO 7816-1), plus intéressante, fixe le standard des cartes à puce, ce qui fait du permis de conduire européen un permis électronique. C'est un standard aussi utilisé par les cartes VISA ou, en France, les cartes de téléphone prépayées. La directive prend le soin de stipuler qu'un "espace doit être réservé sur le modèle communautaire de permis afin de préserver la possibilité d'y introduire éventuellement un microprocesseur ou un autre dispositif informatisé équivalent."
Par contre, la norme ISO 14 443, utilisée pour la technologie RFID (passe Navigo, etc.), n'est pas citée, non plus que le standard de l'OACI (Organisation de l'aviation civile) concernant les passeports biométriques.
Pourquoi biométriser le permis de conduire? Le projet français, projet mort-né?
Rien n'oblige donc le gouvernement Fillon à biométriser les permis de conduire, bien que l'annexe I de la directive lui en donne le droit : "Les États membres sont libres d'introduire des éléments de sécurité additionnels" (annexe I, 2, c). Et c'est bien au nom de la sécurisation des documents que B. Hortefeux avait lancé ce ballon d'essai pour préparer l'opinion au permis de conduire biométrique.
Toutefois, on comprend mieux pourquoi le gouvernement a défendu le caractère stratégique des activités de biométrie d'Ingenico, menacé par une OPA d'origine américaine : le ministre de l'Industrie Eric Besson défendait alors cette stratégie de "patriotisme économique" (Vos Papiers!, 02/02/11). L'idée d'imposer le permis de conduire biométrique permet de soutenir la constitution de "champions nationaux". Aux frais du contribuable.
Frais qui pourraient d'ailleurs exploser, puisqu'en prenant cette initiative, la France s'expose au risque qu'une directive ultérieure vienne à réguler les standards techniques et diverses mesures de protection de la vie privée à mettre en œuvre pour ce qui concernerait les permis de conduire biométriques. Or, en adoptant des standards minimaux de protection de la vie privée et des données personnelles - comme on peut s'y attendre de la part du gouvernement Sarko-Fillon -, Paris risque bien d'investir des dizaines de millions d'euros pour un projet à la date de péremption imminente...
Enfin, qui dit document d'identité biométrique, dit fichier biométrique, comme le rappelait David Lyon. Et qui dit permis européen, dit fichier européen - ou à tout le moins, fichiers nationaux interconnectés à l'échelle européenne. Après le passeport biométrique, le visa biométrique, et en attendant la carte d'identité biométrique, cela fait donc un système de fichiers des documents biométriques, porteurs de données personnelles, y compris de données de santé, accessibles aux autorités de police et aux services de renseignement des différents Etats-membres de l'Union européenne. Le permis de conduire européen étant accessible aux résidents étrangers de l'UE, cela permet au passage de stocker leurs caractéristiques biométriques sur un fichier distinct du Système information Schengen (SIS) concernant les visas biométriques, et d'étendre ainsi l'accès à ces données. Et voilà comment la sécurité routière peut servir à faire passer la pilule sécuritaire...
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Bonjour,
RépondreSupprimerDans cet article très intéressant, vous évoquez le fait que le futur permis de conduire utilisera une puce électronique qui contiendra des informations concernant deux empreintes digitales du titulaire du document, cependant, malgré mes recherches, je ne trouve aucun document officiel faisant référence à l'utilisation d'empreintes digitales. Seuls les articles de presse en font mention. Avez-vous une source officielle à laquelle se référer ?
Merci.
Bonjour, votre remarque est tout à fait juste. Ayant constaté le nombre important d'annonces récentes affirmant le contraire, j'y réponds sur ce billet : http://vospapiers.blogspot.com/2012/01/permis-de-conduire-biometrique-une.html.
SupprimerCordialement
Je me posais également la question, merci pour ces informations complémentaires !
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