mercredi 2 février 2011

Biométrie et identification #1.1.5


La biométrie, sécurité nationale et enjeu stratégique?

On sait grâce à Wikileaks qu'Hillary Clinton, à la tête du Département d'Etat américain, a demandé en 2009 à ses diplomates de recueillir "toute information biographique et biométrique" (des "empreintes digitales, des images du visage, de l'ADN et des scans des iris") des diplomates de l'ONU, visant en particulier les nord-coréens, les cubains et les syriens, mais aussi le secrétaire général Ban Ki-moon et les alliés ("WikiLeaks : colère feutrée à l'ONU après les accusations d'espionnage", Le Monde du 8/12/10).

 Peu de temps après, on apprenait que le gouvernement français avait bloqué l'OPA du groupe américain Danaher sur Ingenico, le n°2 mondial des terminaux de paiement, derrière Verifone, alléguant un enjeu stratégique, en raison des produits biométriques développés par la firme. L'Etat détient en effet 30% des parts de Safran, entré dans le capital d'Ingenico en 2007, à hauteur de près d'un quart du total des actions, en fusionnant sa filiale Sagem Sécurité, spécialisée dans le paiement électronique et le contrôle biométrique ("L'Etat bloque la vente d'Ingenico à un américain", Le Monde, 21/12/10). Interviewé peu après, Eric Besson, désormais ministre de l'Industrie, défendait cette stratégie française et le "patriotisme économique" (Eric Besson : "L'Europe doit en finir avec l'angélisme en matière industrielle", Le Monde, 06/01/11).

Cette opposition au rachat d'Ingenico par les Américains a suscité une gêne certaine chez son PDG, Philippe Lazare, qui conteste le caractère "stratégique" de l'entreprise («Ingenico n'est pas une entreprise stratégique», Le Figaro, 19/01/11). Il souligne que les terminaux de paiement de Thales ont été rachetés par Hypercom, et de Gemalto par Verifone ; Hypercom lui-même ayant été racheté, rappelait Le Monde, par Verifone en novembre 2010. Le PDG Lazare tente de relativiser les activités biométriques de la firme, malgré l'importance des travaux de Sagem Sécurité:
Ingenico ne détient pas de secret présentant un intérêt supérieur pour la Nation. Nous n'avons pas non plus de compétences particulières en biométrie contrairement à ce qui a pu se dire. Pour certains produits vendus en Afrique et en Inde, nous intégrons des modules biométriques livrés par Morpho, un de nos fournisseurs. Ces activités sont marginales. Nous avons acheté pour environ 600 000 euros de matériel biométrique l'an dernier. ­Ingenico n'est pas une entreprise stratégique. En revanche, il est vrai que l'on présente de l'intérêt pour le pays. Nous sommes leader mondial dans notre domaine et nous avons des capacités de recherche et développement en France. C'est la dimension symbolique d'Ingenico qui en fait une pépite.
Entre pointage des salariés et fichier électoral... 

Le mouvement de contestation contre la banalisation de la biométrie se poursuit, avec la grève des communaux de la mairie de Garges-lès-Gonesse (Val d'Oise) opposés au pointage via la reconnaissance biométrique des doigts. Le dispositif de 60 000 euros a été imposé par le maire UMP, Maurice Lefèvre, mais est victime de "panne technique"... ("Les communaux votent contre la biométrie", Le Parisien, 13/01/11). En Corrèze, c'est l'administration du lycée d'Arsonval à Brive-la-Gaillarde qui fait face à la contestation contre la reconnaissance de la main à la cantine scolaire, menée par la FCPE, SUD-Limousin et d'autres non-affiliés, rassemblés dans le collectif Dépassons les bornes ("Un collectif dit "non" au menu biométrique", La Montagne, 28/01/11).

Parallèlement, au Gabon, pays guère atteint par le "printemps des peuples" qui touche le Maghreb et le Machrek, l'opposition réclame la mise en place de la biométrie afin d'assainir le fichier électoral et d'authentifier les cartes d'électeurs (GaboNews, 29/01/11).

L'Europe: de la Suisse à la Hongrie en passant par Dublin II...

Et tandis que la Suisse passe à la carte de séjour biométrique ("Vaud se dote d'un centre de biométrie unique pour Suisses et extra-européens", Tribune de Genève, 21/01/11), la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a fait tremblé la Convention Dublin II dans son arrêt retentissant du 21 janvier, en condamnant la Belgique pour avoir transféré automatiquement un demandeur d'asile en Grèce, où il fut sujet à des "traitements inhumains et dégradants" (Réadmissions vers la Grèce : la confiance mutuelle au sein de l’UE à l’épreuve de la CEDH (Cour EDH, G.C. 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce), Combat pour les droits de l'homme, 22/01/11).

Enfin, en Hongrie, le gouvernement très conservateur de Viktor Orban veut établir un registre mondial de tous les individus d'origine magyare afin de "les renforcer dans leur identité" et leur accorder la nationalité hongroise, ce qui suscite des réactions peu amènes dans les Balkans, où de nombreuses minorités hongroises sont présentes depuis le démantèlement de l'Autriche-Hongrie ("Angoissée par son déclin démographique, la Hongrie envoie les mères au foyer", Le Monde, 06/01/11).

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