vendredi 26 février 2010

Biométrie et identification #1.0.4


SINUS: création d'un nouveau fichier utilisé par le préfet de police (secrétariat général de défense de Paris) "dont les finalités sont d'assurer le dénombrement, l'identification et le suivi des victimes lors d'événements exceptionnels". Le "Système d'Information NUmérique Standardisé" enregistre le nom, le prénom, l'âge, le sexe, l'adresse et la nationalité des victimes, leur état vital, et le lieu de prise en charge voire d'hospitalisation. Les données sont conservées un mois après la mise à jour, et sont destinées aux pompiers, au SAMU, à l'AP-HP (hôpitaux) et au SGDZ (secrétariat général de défense de Paris). Mais les magistrats et les OPJ peuvent y avoir accès "pour la conduite des enquêtes diligentées dans le cadre des événements exceptionnels" mentionnés. Aurait-il donc une autre finalité que simplement de protection civile? Arrêté du 17/02/10, JO du 26/02/10.

Signalons aussi (JO du même jour) l'arrêté du 2/02/10 modifiant l'arrêté du 26/02/02 relatif à des traitements automatisés de données à caractère personnel pour la mise en œuvre de l'échantillon national interrégimes d'allocataires de minima sociaux.

Permis de bateau: le gouvernement exige de nouveaux papiers pour ce  qui concerne l'autorisation d'enseigner dans un centre de formation de  bateaux à moteur, notamment une "preuve de l'identité et de la  nationalité du professionnel" et une "attestation certifiant que le  prestataire est légalement établi dans un Etat membre de l'UE ou dans un  autre Etat partie à l 'accord sur l'EEE pour y exercer la profession de  formateur". Arrêté  du 23 février 2010 (JO 25/02/10) modifiant l'arrêté  du 28 septembre 2007  relatif au  permis de conduire des bateaux de plaisance à moteur, à  l'agrément des  établissements de formation et à la délivrance des  autorisations  d'enseigner.

Etats-Unis: 116 comtés dans 16 Etats différents utilisent le programme Secure Communities, qui permet aux autorités locales de comparer en direct les empreintes digitales des sans-papiers aux bases de données du FBI (AFIS) et du DHS (US-VISIT) afin d'identifier les personnes ayant déjà été condamnées. Le cas échéant, l'expulsion est automatique. Sur The RiverBank News, 25/02/10. La page officielle d'ICE affirme que le programme aurait coûté 1,4 milliard de dollars en 2009.

Reconnaissance d'émotions: l'International Journal of Biometrics publie un papier concernant la reconnaissance des émotions des bébés qui pleurent, grâce à une analyse statistique des différentes fréquences de son émises. "Statistical method for classifying cries of baby based on pattern recognition of power spectrum", IBG, 2010/2, p.113-123 et  The Examiner, 25/02/10.

Le Parlement bulgare a mis en place un système biométrique de vote, utilisant trois empreintes digitales. Il est censé empêcher les députés de voter avec la carte d'un autre, mais est critiqué par l'opposition, qui parle de techniques policières et refuse d'être traitée comme "des criminels". Sur Novinite, 29/01/10.

L'Australie va mettre en place un programme de visa biométrique visant 10 pays (dont, peut-être, le Royaume-Uni), jugés "à risque" concernant le terrorisme. Le programme, mis en œuvre avec l'aide de l'UK Border Agency et qui devrait coûter 69 millions de dollars (Secure Computing, 23/02/10), enregistrera empreintes digitales et photographies numériques, données qui seront comparés sur des bases internationales, notamment avec les pays alliés. L'Australie a déjà des accords de transmission des données avec le Royaume-Uni et le Canada, et pourraient étendre ceux-ci aux deux autres pays de l'ANZUS, les Etats-Unis et la Nouvelle-Zélande. Sur Australian Visa Bureau, 24/02/10.

Add. Les immigrés sujets à un "test de citoyenneté" sont aussi soumis au recueil et à l'enregistrement de l'image de leurs visages, ce qui est effectué à des fins d'examens médicaux (communiqué du ministre de l'Immigration et de la Citoyenneté du 5/12/09).

Afghanistan
: les GI utilisent un ordinateur portable, le Biometric Automated System (BAT), afin d'enregistrer les empreintes digitales et l'iris de la population afghane. Les données sont conservées sur une base centralisée aux Etats-Unis. Ce système est aussi utilisé en Irak, où le fait de transmettre ces données aux autorités irakiennes a pourtant suscité quelques inquiétudes au Pentagone... Sur Human Events, 23/02/10.

Aide sociale
: le Wisconsin (Etats-Unis) envisage une proposition de loi qui mettrait en place des dispositifs de reconnaissance d'empreinte digitale dans les crèches, afin de prévenir la fraude. Des enquêtes antérieures avaient montré que les crèches et des parents aidés par l'Etat à travailler œuvraient de concert afin de frauder l'administration (soit sans que leurs enfants n'aillent vraiment à la crèche, soit en donnant des simulacres de boulot ou en employant eux-mêmes les parents). Un exemple typique d'utilisation de la biométrie à des fins de contrôle du budget... Sur Milwaukee Journal Sentinel, 22/02/10.

Distributeur de banque biométrique
: la Banque nationale du Punjab (PNB, Inde) envisage de mettre en place de tels distributeurs dans les régions rurales, où la majorité des paysans n'a pas de compte bancaire. Sur My Digital FC, 21/02/10.

HUMABIO
, le projet de recherche biométriques de l'UE (Human Monitoring and Authentification using Biodynamic Indicators and Behaviourial Analysis), a remporté un Big Brother Award en Belgique. Le projet travaille notamment sur l'identification à l'insu de la personne, en faisant appel à la reconnaissance automatique de la démarche. Parmi les autres nominés: le projet E-health du gouvernement belge; le traité PNR (Passenger Name Record); la carte MoBib de la STIB (équivalent du passe Navigo); la loi de vidéosurveillance belge de 2009. Sur la Ligue des droits de l'homme (Belgique).

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jeudi 25 février 2010

Biométrie et identification #1.0.3


Contrôle d'identité pour ouvrir un site Web: ça y est, la Chine a trouvé la parade aux "sites pornographiques": toute personne ouvrant un site devra se présenter devant les autorités de contrôle de l'Internet munis d'une carte d'identité et de leur photographie. Sur Le Monde, 23/02/10.

Kaspersky, inventeur de l'anti-virus éponyme et expert de la cybercriminalité, imagine un futur où notre téléphone portable sera notre carte d'identité virtuelle pour accéder à Internet. Pour lui, un "passeport virtuel" est nécessaire, au-delà de la simple adresse IP. Sur Rue 89 et sur ZD Net.

La Tanzanie va mettre en place une carte nationale d'identité, à puce, devenant le 4e pays de la Communauté d'Afrique de l'Est à disposer d'un tel système (seul l'Ouganda n'ayant pas de carte nationale d'identité). Le projet tanzanien s'étend aux étrangers résidant sur le territoire, qui devront payer leur carte d'identité, et la rendre aux autorités s'ils quittent la Tanzanie. Malgré deux lois anciennes (le National Identification and Citizenship Act de 1972 et le Registration and Identification of Persons Act de 1986), les contraintes budgétaires avaient jusqu'alors empêché l'instauration d'une carte nationale d'identité. Sur East African Business Week, 13/02/10.

Scanner corporel: la France introduit sa première machine à l'aéroport de Paris-Charles de Gaulle, dont "l'expérimentation" a été permise par la loi LOPPSI II (art. 18bis). Mis en place en tant qu'"essai" devant précéder l'expérimentation, qui ne sera autorisé qu'après le vote définitif de la loi, le scanner ne concernera, pour l'instant, que les passagers voyageant aux Etats-Unis. Soi-disant "facultatif", les voyageurs refusant de s'y soumettre seront soumis durant cette phase d'essai à des palpations; après la promulgation de LOPPSI, ils ne prendront pas l'avion. La machine coûte environ 200 000 euros. Cf. ici même, Scanner corporel, ou la transparence des corps.

LOPPSI: le nouveau délit d'"usurpation d'identité" critiqué par la gauche et ASIC (Yahoo!, Google, You Tube, etc.). Martine Billard (Parti de gauche) notait ainsi qu'on était "plus dans le délit d'usurpation d'identité, mais dans le fait de faire usage, sur un réseau de communications électroniques, ne serait-ce qu'une fois, 'de l'identité d'un tiers ou de données de toute nature permettant de l'identifier'. (...) Ainsi, le fait de faire usage, une fois, de la photo d'un tiers, peut être considéré comme troublant la tranquillité de ce tiers." Sur Le Monde, 17/02/10.

Le Mossad est accusé d'avoir usurpé les identités de 26 personnes, dont sept Israéliens à double-nationalité, en utilisant de "vrais faux passeports" (dont certains diplomatiques) dans l'assassinat d'un cadre du Hamas à Dubaï. Le Quai d'Orsay a convoqué le chargé d'affaires israélien pour lui demander de s'expliquer sur l'usage frauduleux d'un passeport français - devenus trois passeports français, dont deux vrais dont l'identité a été usurpée (Le Monde, 24/02/10). Et le Jerusalem Post s'inquiète de la capacité des espions à usurper des identités dans un "monde biométrique". Question: les passeports européens utilisés étaient-ils biométriques? Sur Libération, 17/02/10, France Diplomatie, 18/02/10, Le Monde, 22/02/10 et EU Observer, 16/02/10.

L'Albanie remplit les critères de l'UE pour que ses ressortissants soient exemptés de visa, a annoncé son ministre des Affaires étrangères. Bruxelles avait exempté en décembre 2009 les citoyens de Serbie, du Monténégro et de Macédoine de visas, considérant cependant que l'Albanie et la Bosnie n'étaient pas encore prêts. Sur Javno, 12/02/10.

Texas:
le shérif d'El Paso, localité à la pointe des technologies de contrôle des sans-papiers, va mettre en œuvre un programme de reconnaissance d'iris, interconnecté à une multitude de bases de données fédérales, dont le Child Project, Senior Safety Net, Inmate Recognition and Identification System (IRIS) et Sex Offender Registry and Identification System (SORIS). Sur The Examiner, 03/02/10.

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lundi 22 février 2010

Scanner corporel, ou la transparence des corps


Depuis la tentative d'attentat à bord du vol Amsterdam-Detroit, à Noël, l'administration Obama pousse fortement à ce que les Etats-Unis et tous les aéroports ayant des vols à destination de ce pays se dotent de scanners corporels (body scanner), machines qui posent question au niveau du respect de la vie privée et de l'intimité des personnes (les personnes apparaissant nues sur les écrans), de la santé, et, last but not least, de leur efficacité dans la prévention des actes terroristes. Le scanner vient ainsi s'ajouter aux passeports biométriques, pour s'insérer dans le projet plus global d'automatisation des frontières 1.

Une fois de plus, c'est l'événement médiatique qui permet de ressortir les projets des cartons 2, au grand plaisir de l'industrie de la sécurité, quelque peu malmenée par les réductions de commandes militaires effectuées par le Pentagone. De telles machines ont déjà été installées dans 19 aéroports américains (ainsi qu'au moins une prison), en Hollande (Schipol), en Suisse, à Moscou, à Jeddah (Arabie Saoudite) et à Londres (Luton) 3. L'aéroport d'Heathrow, en Grande-Bretagne, a cependant décidé d'arrêter d'utiliser une telle machine après un essai de quatre ans.

Le Royaume-Uni, le Danemark et la France ont aussitôt emboîté le pas à leur allié atlantique, les députés français introduisant un amendement dans le projet de loi LOPPSI II (art. 18 bis) visant à permettre l'"expérimentation" pour une durée de trois ans, des scanners corporels dans les aéroports.

Plus de 8 ans après les attentats du 11 septembre, l'urgence a cependant été jugée telle que la DGAC (Direction générale de l'aviation civile) a tout bonnement anticipé la promulgation de la loi, en mettant en œuvre dès le 22 février un scanner à ondes millimétriques au terminal T2 de l'aéroport de Paris-Charles de Gaulle, visant les voyageurs à destination des Etats-Unis. On peut s'interroger, à l'instar de la Ligue des droits de l'homme, sur la légalité d'une telle politique du fait accompli, de même que l'habitude de faire passer des mesures pérennes pour de prétendues "expérimentations". Cette rapidité de réaction de la part des Etats de l'UE a suscité l'agacement de la présidence espagnole de l'UE, qui réclamait le 7 janvier une position commune sur le sujet 4.

Soi-disant "facultatif", cette nouvelle panacée technologique, distribuée par Visiom et qui coûte environ 200 000 euros 5, sera imposé par la loi à tout voyageur, le refus de s'y soumettre valant en effet refus d'embarquement 6. Dans l'immédiat, l'aéroport de Charles de Gaulle permet le choix entre la "palpation de sécurité" et le scanner.

La variété des enjeux soulevés par ces scanners conduit  à un chassé-croisé des diverses organismes plus ou moins indépendants que sont la CNIL, l'Afsset (Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail) et l'Afssaps (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé), l'IRSN (Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire)...

Dans son avis du 8 février 2010, dont le titre même, Jusqu'où se dévoiler pour être mieux protégé, oppose le respect de la vie privée à la sécurité, la CNIL se veut ainsi rassurante tout en préconisant quelques mesures techniques visant à encadrer l'usage de ces scanners. Elle distingue ainsi entre les scanners à ondes millimétriques (utilisé à l'aéroport de Paris) et les scanners à rayon X. Aucun ne semblent poser de problème de santé: ceux-là projetteraient une "énergie 100 000 fois inférieure à celle projetée par un téléphone portable en communication" (en ceci, elle reprend l'affirmation du constructeur lui-même, L-3 Communications), tandis que ceux-ci nous exposeraient à une dose de rayon X "équivalente à celle reçue en deux minutes de vol aérien à haute altitude" (en cela, elle reprend l'avis de l'IRSN).

Pas de quoi fouetter un chat! Si ce n'est qu'elle rappelle, juste après, "qu'à ce jour, aucune évaluation scientifique précise sur les conséquences sur la santé des personnes soumises aux scanners corporels n'a été effectuée." Venant ainsi de sous-entendre que les scanners ne posaient aucun problème de santé, elle nous dit maintenant qu'on manque d'études à leur sujet. Et - peut-être parce que l'option scanners à rayon X n'a pas été retenue, pour l'instant, par la France (elle est utilisée à Manchester) - elle ne reprend ni l'avis officieux du Pr. Patrick Gourmelon (IRSN), qui préconise - sait-on jamais - aux femmes enceintes et enfants d'éviter les scanners à ondes millimétriques, ni les avertissements officiels de l'IRSN concernant les rayons X, selon lequel:
Ces doses extrêmement faibles, à première vue négligeables, doivent cependant être mises en regard avec les principes fondateurs du système de radioprotection, et tout particulièrement celui de justification. Selon ce principe, toute dose, aussi faible soit elle, doit être évitée si elle se révèle être inutile au regard de l’intérêt individuel, collectif ou sociétal. Certaines pratiques, bien que délivrant des doses extrêmement faibles, peuvent ainsi ne pas être autorisées, notamment  lorsqu’il existe une technologie alternative présentant des performances comparables sans impact reconnu sur la santé.
La CNIL rappelle ensuite qu'une "expérimentation" a eu lieu à l'aéroport de Nice en 2007, qui avait tourné court - Nice est à la pointe des technologies, ayant déjà mis en place un programme biométrique pour voyageurs fréquents enregistrant les empreintes digitales. Et passe enfin à son objet principal:
certains scanners permettent d'obtenir l'image des corps nus des individus, et peuvent notamment dévoiler leurs parties génitales, ainsi que leurs éventuelles infirmités, leur maternité ou toute autre information relative à leur santé.
Dès lors, une question de procédure: selon la Commission, le Parlement devrait être saisi de ces questions (chose faite avec la loi LOPPSI). D'autre part, une "étude d'impact" sur les conséquences en matière de vie privée devrait précéder toute généralisation de ces appareils. En clair: il ne s'agit pas de se contenter d'une expertise médicale sur les risques technologiques qui pourraient être induit par ces machines, mais il faudrait aussi mettre en œuvre une étude davantage sociologique et philosophique sur le genre de société qu'une telle technologie promouvoit... une société où, comme le dit très bien le titre de l'avis, être dévisagé nu devient une norme banale de sécurité. Il ne s'agit pas d'une évolution des mœurs, mais bien de l'explosion des mesures sécuritaires imposées depuis le 11 septembre 2001. D'ailleurs, les Etats-Unis comme la France prévoient que les corps exposés par ces machines soient visionnés par des contrôleurs du même sexe. La Commission européenne elle-même a annoncé la publication imminente d'une telle étude d'impact, conformément à la résolution du Parlement de Strasbourg d'octobre 2008.

Enfin, s'appuyant sur l'avis du G29 (l'équivalent européen de la CNIL), la CNIL préconise un floutage des parties intimes, la déconnexion entre le passage devant le scanner et tout autre contrôle, afin d'éviter d'associer un nom (via, par exemple, le contrôle d'identité) au corps mis à nu, et de séparer l'image "naturelle" du corps de son apparition sur le scanner: la personne surveillant le scanner ne pourrait pas directement observer la personne, étant situé dans un local physiquement séparé. Elle préconise aussi l'effacement des données dans les plus bref délais.

L'art. 18 bis de LOPPSI prend en compte la dissociation de l'état civil et de l'image, et la non-conservation des données, en disposant que:
L’analyse des images visualisées est effectuée par des opérateurs ne connaissant pas l’identité de la personne. Aucun stockage ou enregistrement des images n’est autorisé.
Mais ces mesures de protection ont été mises en doute aux Etats-Unis par l'ACLU, qui signale que le floutage peut être retiré et que rien n'assure véritablement qu'aucune image ne sera diffusée par des agents peu scrupuleux sur Internet. Certes, s'il n'y a véritablement aucun stockage des données, la diffusion ultérieure serait difficile; mais cette disposition législative pourrait, comme tant d'autres, être modifiée ultérieurement, à la faveur, par exemple, du prochain cas monté en épingle par les communiquants de tous bords.

Bref, un avis mi-figue mi-raisin qui encadre sans dire non et limite les effets les plus intrusifs sans se fendre d'une interdiction en bonne et due forme. Rien de surprenant pour la CNIL, si ce n'est que, concernant les effets sur la santé, elle constate qu'aucune étude sanitaire n'a été faite sans considérer cela comme une circonstance rédhibitoire.

Certes, la santé, c'est le problème de l'Afssets, qui a été saisie pour avis, le 19 janvier, par le ministère de l'Ecologie (et non... de la Santé), et a examiné le scanner ProVision 100* (L3 Communications, Visiom), "qui utilise des ondes électromagnétiques dites "millimétriques" dans la bande de fréquence 24-30 GHz". L'Afssets conclue, le 22 février 2010, jour même de l'entrée en vigueur du scanner à Paris, que les valeurs d'exposition aux ondes électromagnétiques sont "très en dessous" du plafond fixé par le décret du 3 mai 2002 (sur l'exposition du public aux champs électromagnétiques...), et affirme qu'un tel scanner ne présente "pas de risque avéré pour la santé des personnes". Ce qui est logique si aucune étude n'a été réalisée. Pour le principe de précaution, on reviendra; l'Afssets admet cependant implicitement les risques potentiels, en préconisant "de promouvoir la recherche sur les effets biologiques et sanitaires des ondes « millimétriques »".

Vient enfin la question de l'efficacité: "J'ai l'impression que la technologie est devenue une nouvelle religion dans la lutte contre le terrorisme", déclare ainsi l'eurodéputé allemand Alexander Alvaro, membre du groupe centriste ALDE. L'eurodéputé Brian Simpson, du Labour, affirmait quant à lui "Nous voulons rendre les voyages aussi sécurisés et humains que possible. Mais les gens qui pensent que les scanners corporels sont la bonne réponse vivent dans un monde imaginaire." La télévision allemande a d'ailleurs mis en doute la capacité des scanners à onde millimétrique à détecter des explosifs, préoccupations partagées par la Commission des transports du Parlement européen, par des policiers, et, aux Etats-Unis, par l'ACLU. Le juriste Martin Scheinin, rapporteur de l'ONU sur les droits de l'homme et le terrorisme, considère ces scanners non seulement comme illégitimes et inutiles, mais comme favorisant le profiling ethnique et racial en allongeant les files d'attente et en suscitant par conséquent une sélection a priori des passagers astreints à cette fouille au corps virtuelle (ce qui est déjà le cas aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, la France soumettant tout le monde au même régime). Brice Hortefeux lui-même, lors des débats à l'Assemblée, déclarait :
Dans le cas de l’attentat manqué du 25 décembre, la question s’était posée de savoir si l’utilisation du scanner corporel aurait permis de détecter les explosifs et les services britanniques ont estimé qu’il y aurait eu une chance sur deux.
C'est ainsi qu'en quelques semaines, le débat pourtant déjà présent concernant les scanners corporels s'est imposé sur le devant de la scène, conduisant Etats européens à réagir dans l'urgence aux desiderata des Etats-Unis, tandis que la majorité au pouvoir en France ne jugeait pas utile d'attendre l'inéluctable réglementation européenne pour ajouter cette nouvelle mesure à l'arsenal de la surveillance. Or, ceci se fait bien que tous, des policiers aux ministres, de l'opposition aux associations de défense des droits de l'homme, soulignent d'une part les risques, en termes de vie privée, mais aussi de santé, posés par la généralisation de technologies étendant la transparence jusqu'à nos corps eux-mêmes, et d'autre part le caractère faillible et partiel de telles mesures, mises en œuvre avant toute étude d'impact digne de son nom. Le principe de précaution ne saurait ainsi valoir en matière de sécurité, ce qui est absurde puisque ce principe vise précisément à assurer... notre santé! Enfin, contrairement à ce que veulent faire croire les industries concernées, ces mesures ne sauraient remplacer une politique sécuritaire cohérente, qui au lieu de se focaliser sur l'aspect technologique, prendrait en compte l'aspect humain et tenterait d'apporter des réponses politiques à des problèmes trop importants pour être laissés aux mains des douaniers et des forces de sécurité. Mais la décision prise - on ne sait trop par qui - de l'automatisation des frontières ne suffit-elle pas à balayer ces réticences bien trop démocratiques?

PS: Dès le 5 janvier, Le Monde nous apprenait que le Parlement européen avait décidé de vendre six scanners corporels, achetés en 2002 pour 720 000 euros mais n'ayant jamais servi.


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1.Voir Statewatch, EU: The surveillance of travel where everyone is a suspect, août 2008, et Contrôles renforcés à l'embarquement, L'Usine nouvelle, 22 février 2010
2. Dès 2007, la Conférence européenne de l'aviation civile avait chargé un groupe de travail de l'examen des scanners corporels, en créant le Body Scanner Study Group, lequel a créé un protocole de test, le Body Scanner Testing Methodology (BDTM), utilisé notamment pour la machine ProVision 100 utilisé à l'aéroport de Charles de Gaulle. De nombreux projets de recherche sont détaillés par le CASRA (Center for Adaptative Security Research and Applications), basé à Zürich.
3. Le scanner corporel de CDG testé dès lundi, Libération, 19 février 2010

4. Le Danemark va tester les scanners corporels à l'aéroport de Copenhague, Le Monde, 29 janvier 2010.
5. Un scanner corporel testé à Roissy, Libération, 22 février 2010
6. Les députés donnent leur feu vert aux scanners corporels dans les aéroports, Le Monde, 11 février 2010 


mercredi 17 février 2010

Transexualité: la catégorie qui fait sauter les catégorisations

La France vient, nous dit-on, de supprimer par décret (n°2010-125) la "transsexualité" de la liste des "maladies mentales", ce qui a conduit à des titres quelque peu euphoriques de journaux peu habitués à traiter de ce thème, et qui se sont donc contenté, du Monde au Nouvel Obs, de reprendre la dépêche de l'AFP, qui annonçait victorieusement:
Le transsexualisme n'est plus considéré comme une maladie mentale en France, premier pays au monde à sortir le transsexualisme de la liste des affections psychiatriques, par un décret publié mercredi 10 février au Journal officiel
Ce décret supprimerait en effet, selon l'AFP, "les troubles précoces de l'identité de genre" d'un article du code de la Sécu relatif aux "affections psychiatriques de longue durée". La dépêche citait par ailleurs Joël Bedos, responsable français au Comité IDAHO (International Day Against Homophobia and transphobia), qui se félicitait de cette mesure, initiée en mai 2009, à la veille de la Gay Pride, par la ministre de la Santé Roselyne Bachelot, qui s'était illustrée par sa défense du PACS - et œuvre aujourd'hui au démantèlement de l'hôpital public.

Faut-il donc se féliciter de ce que le droit cesse de stigmatiser, sous la catégorie vague de "folie" (médicalisée sous le terme de "trouble de l'identité de genre", expression juridique qui résonne si bien avec le Gender Trouble de Judith Butler), ce phénomène, que certain-e-s préfèrent appeler "transidentité"?

D'un côté, cela semble marquer un progrès certain, qui ferait suite à la décision de l'OMS, en 1981, d'ôter l'homosexualité des "maladies mentales", suivie par la France en 1992, ainsi qu'à la jurisprudence de la CEDH (Cour européenne des droits de l'homme), qui a supprimé la "marge nationale d'appréciation" laissée aux Etats pour ce qui concerne la pénalisation du délit d'homosexualité entre adultes, considérant que la société européenne convergeait vers une tolérance plus grande (Dudgeon c. RU, 1981; Norris c. Irlande, 1988; Modinos c. Malte, 1993).

D'un autre côté, Bachelot avait précisé en mai 2009 que cette déclassification n'induirait pas "une absence de recours à la médecine, de renonciation au diagnostic médical des troubles de l'identité de genre ou d'abandon du parcours de prise en charge". Or, le décret supprime l'exonération du ticket modérateur pour les soins au traitement. Bachelot affirme continueront à être remboursés, mais sous quelle forme?

Pour le STRASS (Syndicat du Travail sexuel), ce n'est que de l'intox: "Non, l’État français ne vient absolument pas de “dépsychiatriser” la transidentité ! Il vient de la dérembourser."

Que dit donc le décret? Le premier article raye purement et simplement les "troubles précoces de l'identité genre" de l'annexe à l'art. D322-1, qui concerne les affections bénéficiant d'une exonération du ticket modérateur. L'art. 2 dispose que:
L'Union nationale des caisses d'assurance maladie adresse aux ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale un bilan annuel de la prise en charge des patients atteints de troubles de l'identité de genre distinguant les cas dans lesquels ceux-ci ont bénéficié ou non d'une exonération de participation au titre du 4° de l'article L. 322-3 du code de la sécurité sociale. Ce bilan comprend notamment une étude des renouvellements du protocole mentionné à l'article L. 324-1 du même code.

En français: l'art. L322-3 dispose que certaines affections, citées dans l'annexe (D322-1), sont exonérées du ticket modérateur. L'art. 1 du décret vient de supprimer les "troubles précoces de l'identité de genre" de l'annexe, et donc de ce qui relève de l'art. L322-3, al. 3. Progrès ? Si on lit avec attention l'annexe, on peut voir que la catégorisation semble relever plus d'une question économique et sociale, que d'un enjeu médical:
"Il est essentiel, sur ce terrain, de ne pas étendre à l'excès le cadre des troubles mentaux justifiant l'exonération du ticket modérateur (...) Il s'agit de décrire le handicap créé par l'affection dans la vie quotidienne du patient puisque, en psychiatrie, la sévérité du diagnostic n'est pas toujours corrélée à la sévérité du handicap qui en découle.."
Le STRASS a donc raison: la transsexualité n'a pas été, comme le claironne l'AFP, supprimée de la liste des "maladies mentales", mais de l'article ouvrant droit au remboursement des frais de santé. L'annexe en question va d'ailleurs bien au-delà des "maladies mentales", et contient la catégorie large de "démence": elle est concernée par la "sévérité du handicap", c'est-à-dire par les conséquences sociales et économiques, et non par des questions de diagnostic médicaux, qui relèvent, jusqu'à présent, de la médecine et non du droit.

L'art. 2 du décret rétablit toutefois une possibilité de remboursement, non plus sous l'al. 3 mais sous l'al. 4 du L322-3, lequel dispose que le remboursement peut avoir lieu:
4° Lorsque les deux conditions suivantes sont cumulativement remplies :
a) Le bénéficiaire est reconnu atteint par le service du contrôle médical soit d'une affection grave caractérisée ne figurant pas sur la liste mentionnée ci-dessus, soit de plusieurs affections entraînant un état pathologique invalidant ;
b) Cette ou ces affections nécessitent un traitement prolongé et une thérapeutique particulièrement coûteuse ;

Traduit par France-3 Alsace, l'un des rares à avoir repris une dépêche de l'AFP citant le communiqué du STRASS, cela veut dire que le remboursement des frais pourrait être achevé en classant la transsexualité comme ALD "hors liste" ou comme "maladie orpheline". "Toutefois, aucune nouvelle assurance n'a été donnée aux transsexuels dans le décret publié mercredi au Journal officiel." Et c'est bien là que le bât blesse!

L'art. 2 du décret mentionne en effet explicitement que certains seront remboursés, d'autres non ("distinguant les cas dans lesquels ceux-ci ont bénéficié ou non d'une exonération de participation"). Et il soumet notamment ces remboursement au protocole de l'art. L324-1 ("Qualité et coordination des soins des patients atteints d'une affection de longue durée"). Lequel soumet le remboursement à certaines obligations du patient:
la continuation du service des prestations est subordonnée à l'obligation pour le bénéficiaire :

1°) de se soumettre aux traitements et mesures de toute nature prescrits d'un commun accord par le médecin traitant et le médecin conseil de la sécurité sociale, et, en cas de désaccord entre ces deux médecins, par un expert ;

2°) de se soumettre aux visites médicales et contrôles spéciaux organisés par la caisse ;

3°) de s'abstenir de toute activité non autorisée ;

4°) d'accomplir les exercices ou travaux prescrits en vue de favoriser sa rééducation ou son reclassement professionnel.

En cas d'inobservation des obligations ci-dessus indiquées, la caisse peut suspendre, réduire ou supprimer le service des prestations.
En d'autres termes, loin d'avoir simplement "rayé la transsexualité des maladies mentales", geste juridique qui d'ailleurs n'aurait que peu de sens à moins de considérer que les juristes soient plus compétents en médecine que les médecins, ce décret a supprimé le remboursement automatique des soins et prépare la voie à la distinction entre patients remboursés ou non, le respect des obligations médicales, et donc la soumission aux directives médicales, étant la condition sine qua non du remboursement.

Ce décret aurait sans doute constitué une avancée, s'il avait inclut des dispositions favorables concernant le remboursement des soins; ici, il se contente d'un geste symbolique, médiatisé comme tel (et les médias préfèrent ne citer que les déclarations favorables du comité IDAHO, non les critiques, et ignorent tout simplement le STRASS), qui poursuit au niveau économique la politique générale de la santé et de la fonction publique. Aux Etats-Unis, la transexualité est peut-être considérée comme affection psychiatrique, mais les opérations peuvent être remboursées.

Et au niveau symbolique, l'avancée aurait sans doute été plus prégnante sur le terrain de l'état civil. TFI-LCI approfondit en effet le sujet (!!!), en rappelant non seulement que l'OMS continue à considérer le transsexualisme comme une "maladie mentale", mais que cette innovation juridique, qui concernerait 50 000 personnes en France, reste limitée, devant être poursuivie par la réforme de l'état civil. "Actuellement, il faut se faire opérer pour obtenir des papiers d'identité d'un autre sexe", déclarait ainsi à la chaîne une représentante du comité Idaho, TF1 précisant que "la moitié des trans ne souhaitent pas changer physiquement de sexe."

Quant au STRASS, dans ce communiqué qu'il faut lire, il déclare entre autres revendiquer:
- L’abolition du premier chiffre du numéro de Sécurité Sociale, qui stigmatise les trans’ et les exclut de fait du marché de l’Emploi.
- L’abolition de toute mention de sexe et de genre sur tous les papiers d’identité de la personne, pour la même raison.
- Le changement d’état civil (y compris l’acte de naissance de la personne) sur simple demande pour toutes et tous.
Revendication utopique? Pas pour l'Inde... Si la CEDH a récemment jugé l'imposition de la case "religion" sur les cartes d'identité comme non-neutre et discriminatoire, la case "sexe et genre" semble promise à un bel avenir, malgré - ou à cause de - son archaïsme et de son inadéquation évidente aux dispositifs modernes d'identification.
 

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mardi 16 février 2010

Biométrie et identification #1.0.2

Le New Hampshire contre la biométrie.Les élus de cet Etat de la côte est des USA ont déposé une proposition de loi (HB-1409) visant à interdire tout usage de la biométrie (physiologique ou comportementale, c'est-à-dire allant des empreintes digitales et de l'iris à la reconnaissance de la démarche ou de la manière de taper sur un clavier), y compris pour toute carte d'identité, étatique ou privée, à la seule exception des cartes d'employés. Soutenue par le républicain Daniel Itse, la proposition a sans surprise suscité la levée de boucliers immédiate des lobbys de l'industrie biométrique. Sur SC Magazine, 10 février 2010.

110 millions de Mexicains
vont devoir fournir leurs données biométriques (iris, empreintes digitales & photographie numérisée) au Ministère de l'Intérieur, qui vient de passer un contrat de 50 millions de dollars avec UNYSIS et Axtel pour créer une base de données nationales. Le projet s'intègre au projet plus général de carte nationale d'identité. Sur Digital ID News, 04/02/10.

Dossier médical informatisé.
La Bulgarie distribue à ses militaires les cartes à puce pour le DMI (technologie Gemalto). Médecins et patients doivent introduire une carte pour lire le dossier informatisé, lequel est aussi accessible en ligne. La carte répond à la norme européenne IAS (Identification Authentification Signature). Sur Digital ID News,17/02/10.>

Test génétique.
La nouvelle loi allemande sur les tests génétiques est entrée en vigueur le 1er février. Si elle limite les tests de paternité à l'autorisation de la mère, ainsi que les diagnostics pré-nataux à des motifs médicaux, elle permet toutefois aux assureurs de prendre connaissance des tests génétiques déjà effectués lorsque le contrat porte sur plus de 300 000 euros: cet aspect a été critiqué par les Verts. Sur Bulletins électroniques 11/02/2010.

Chantier JO 2012.
Londres soumet les 4 500 ouvriers du chantier JO (ils seront 9 000 fin 2010) à des dispositifs de reconnaissance de la main, l'iris étant utilisé de façon secondaire. Motif invoqué? La sécurité, mais aussi la chasse aux sans-papiers et le contrôle des horaires. Biometric tests for Olympic site workers, The Guardian, 11/10/09.

Irak.Le Pentagone lui-même s'inquiète de transférer aux Irakiens les bases de données biométriques (empreintes digitales, iris, etc.) accumulées lors de la guerre. Ces données peuvent se transformer, dit-il, en "hit list" (liste noire de gens à abattre), "si elles tombent dans les mauvaises mains". Aux mains des gringos, aucun problème. "Double-Edged Sword", Defense News, 24/08/09.

Ecole buissonnière.
L'Université de La Plata (Argentine) met en place un dispositif de reconnaissance d'empreintes digitales pour contrôler la présence des élèves en cours. Le pays de Juan Vucetich, le Bertillon porteno, considère que faire l'appel, c'est dépassé? Informatica toma asistencia con huellas digitales, InfoCielo, 03/02/10.


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Administration électronique et identifiant unique: vers l'interconnexion généralisée?

Rares sont ceux qui contesteront l'utilité d'un accès Internet à l'administration - qui sert d'abord l'Etat et la réduction des effectifs, avant de "rendre service à l'usager"; mais tout client d'un fournisseur accès internet (FAI) ou d'une entreprise de téléphonie mobile sait combien les services rendus par l'administration à distance (parfois délocalisée) sont aimables et aléatoires.

L'évidence de la modernisation heureuse se heurte ainsi à la construction de structures où les entreprises profitent de leur monopoles de fait pour laisser aux client le soin de chercher sur les forums d'aide informatique la solution à leurs problèmes techniques, qui aurait dû être fournie par le FAI. Y a-t-il une raison de croire que les choses seront différentes dès lors qu'il s'agirait de l'Etat?

Le nouveau rapport sur l'administration électronique du groupe "Experts Numériques", présenté sous le titre technocratique d'"Amélioration de la relation numérique à l'usager" (fév. 2010), ne brille ainsi pas par son originalité; il a le mérite de rendre visible l'indifférence des "experts" aux critiques émanant de la société civile concernant les ratés et les failles de ce rêve du passage à la "modernité" bureaucratique.

Coïncidence qui n'en est pas, le rapport est dirigé par le député Franck Riester (UMP), qui s'est illustré en étant le rapporteur du projet de loi HADOPI et qui a été nommé membre du collège d'HADOPI. Laissons ici de côté l'aspect contradictoire entre la dite "riposte graduée" qui menace l'internaute de suspension d'accès et la volonté de développer l'administration électronique.

Limitons-nous aux propositions concernant l'identité numérique (liée au projet d'IDéNum lancé par la secrétaire d'Etat à la prospective et au développement de l'économie numérique - tout un programme! - Nathalie Kosciusko-Morizet,  alias NKM).

Ressortant le projet INES d'identité nationale sécurisée, abandonné en raison des critiques concernant la sécurité de ce dispositif et les menaces qu'il faisait peser sur la vie privée, ce rapport préconise ainsi notamment la création d'un authentifiant unique (proposition 5), sur le modèle portugais de la carte d'authentification personnelle unique "tout en un", qui se substitue à la carte d'identité, à la carte de santé et au permis de conduire.

De façon ironique, l'examen détaillé de la proposition 5 affirme, dans la section "retour d'expérience", que "la création d'un Identifiant Unique a augmenté la fraude à l'identité aux USA en le rendant plus facile et plus rentable". Si on ne sait trop s'il s'agit d'une affirmation sérieuse ou d'un lapsus, ni à quel "identifiant unique" les "experts numériques" font allusion (il pourrait s'agir du numéro de Sécurité sociale, qui remplace outre-atlantique notre carte d'identité, au risque de diffuser partout ce numéro, ce qui rend effectivement la fraude assez facile; voir Dead Man Gets Passport), il est clair que la volonté de "ne pas démultiplier les supports" et de "capitaliser sur un support unifié permettant de s'authentifier dans toutes les administrations voire les services publics" obéit au désir de créer une "clé universelle unique" (tel que le numéro de Sécu, soumis pour cette raison par la CNIL à certaines restrictions d'usage qui sont tombées au fil des ans) permettant l'interconnexion de fichiers qui n'ont, a priori, pas grand chose à voir : on ne sait trop pourquoi la carte d'identité devrait être fusionnée avec la carte Vitale, à moins de confondre son médecin avec un policier.

Dans l'immédiat, le rapport préconise la création de cet authentifiant unique à partir du site Mon.service-public.fr (on ne discutera pas de la lisibilité de cette adresse URL, thème important de ce rapport qui souhaiterait que les sites officiels apparaissent en première page de Google, au lieu d'être devancés par leurs pastiches critiques). Site qui offre d'ailleurs la possibilité de scanner et de mettre en ligne ses papiers d'identité, ce qui permet, selon le Quai d'Orsay et la DGME (Direction générale de la "modernisation de l'Etat"), d'avoir un "commencement de preuve par écrit" pour renouveler ses papiers en cas de perte ou vol; Air France s'est décidé à fournir le même service.

On ne peut néanmoins s'empêcher de croire que l'ambition finale du projet demeure la fusion de tous les documents d'identité, quels que soient leurs fonctions et usages, dans une carte électronique, de préférence biométrique. Ayant fait adopter le passeport biométrique à des fins de contrôle des frontières, on réinvestit ainsi ces technologies dans le champ commercial, administratif et étatique, et ce quels que soient les domaines (surveillance des chômeurs, santé, fisc, etc.).

Ainsi, derrière une proposition en apparence tout ce qu'il y a de plus raisonnable et bénigne - améliorer les relations avec les usagers via la création d'un authentifiant unique -, on trouve le même projet qui, il y a plus de 30 ans, avait suscité l'indignation générale et la création de la CNIL: du projet SAFARI d'interconnexion des fichiers à IdéNum en passant par INES, les "experts numériques" n'ont guère changé leur fusil d'épaule.

jeudi 11 février 2010

Biométrie et identification #1.0.1

Rwanda. Le pays se met à la carte d'identité électronique (fournie par De La Rue Identity Systems), qui devrait combiner les informations détenues sur les cartes d'identité actuelles, les passeports, les permis de conduire, et intégrer des données de santé et de sécurité sociale. La mise en place des cartes d'identité par l'administration coloniale avait été l'un des facteurs de la construction identitaire des ethnies tutsies et hutues1. Les premières e-cards devraient être délivrées dans six mois. "Rwanda goes with De La Rue for eID", Secure IDNews, 10/02/10.

Scanner corporel. Pour Brian Simpson (Labour), "les gens qui pensent que les scanners corporels sont la réponse vivent dans les nuées [cloud cuckoo land]". Cette remarque fait suite à la mise en œuvre de ces technologies, à la faveur de l'incident du 25 déc. Le Royaume-Uni s'apprête aussi à créer une no-fly list, dont on a vu les conséquences ubuesques aux USA. Bien sûr, aucune discrimination n'aura lieu pour sélectionner les passagers soumis à ces scanners, qui permettent de voir les implants mammaires mais pas tous les explosifs... A ce jour, aucune étude médicale n'a été faite sur les conséquences de ces scanners (CNIL). Sur EDRI, 10/02/10.

Digital Dining: commander un repas via une télécommande biométrique?

Digital Persona présente sa dernière génération de lecteurs d'empreintes digitales U.are.U, couplés à des clés USB sur les ordinateurs, utilisés à des fins de contrôle des horaires des employés e des commandes émises; les clients disposent d'une télécommande biométrique pour commander leurs repas et se "fidéliser". Outre la filiale du fast-food Arby's à New York, ce dispositif de flicage est aussi employé dans les hôtels, les hôpitaux et les universités. Sur Azooptics.


Angola. M2SYS va mettre en place le dispositif biométrique de traçage des patients dans les hôpitaux du pays, en commençant par Hospital 28 Augosta, l'un des plus gros établissements de l'Angola. Sur PR-Canada.net.


Inde. New Delhi envisage la mise en place de cartes à puce biométrique pour son programme social contre le chômage dans les campagnes (NREGA), afin de vérifier que les bénéficiaires sont bien sur les lieux de travail assignés. Le dispositif pourrait être couplé à un système GPS ainsi qu'au registre central biométrique d'état civil en cours de construction. Sur The Economic Times (09/02/10).



1. Timothy Longman (2001), "Identity cards, ethnic self-perception and genocide in Rwanda", in J. Caplan et J. Torpey (eds.), Documenting Individual Identity: The Development of State Practices in the Modern World, (Princeton & Oxford, 2001), p.345-58

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mercredi 10 février 2010

Biométrie et identification #1.0.0


A reporter faces the naked truth about full body airport scanners, ou quand le Washington Post (07/02/10) fait de la pub pour les marchands de rayons X, devenus très à la mode récemment. Et comment oserait-on parler d'invasion de la vie privée, alors que les contacts physiques sont inexistants?

NKM lance IDéNum, un certificat payant équivalant en gros à OpenID (libre, lui), en attendant... la carte d'identité électronique. Certains se félicitent, d'autres soulignent les risques de traçabilité accrue, joie des censeurs HADOPIesques (cf. par ex. Le Monde informatique, 02/02/10, ou Les Inrocks, 03-02-10). Peu indiquent que ces projets suivent celui du passeport biométrique, et que la nouvelle INES (du nom du projet rejeté en 2005, "identité nationale électronique sécurisée") sera sans doute elle aussi biométrique.

Un scanner cérébral portable? Le Pentagone expérimente de tels scanners afin d'identifier l'état psychologique de ses soldats en temps réel, et de détecter les signes annonciateurs d'un stress post-traumatique. La technologie militaire s'étendant souvent au civil, bientôt chacun aura son casque pour sonder son cerveau? A lire sur Wired (12/01/10).

Alès. Le Conseil général du Gard (PS) imite quelques-uns de ses homologues, en se déclarant contre l'usage des dispositifs biométriques de reconnaissance de la main dans les cantines scolaires (en l'espèce, au collège de Lédignan). Alors, la CNIL, dépassée par les politiques? Sur Midi libre (12/01/10).

Dead Man Gets Passport: un inspecteur du GAO (Government Accountability Office) a réussi à obtenir, aux Etats-Unis, quatre passeports biométriques sous de fausses identités, entre autres en prenant celle d'un homme mort depuis 1965. Ou la preuve par quatre que la technologie biométrique sert surtout à renforcer la sécurité... de SAGEM & cie. Sur Foreign Policy (déc.09).

Inde. Le gouvernement devrait délivrer les premières "cartes d'identité uniques" (UID), à puce, l'année prochaine. Celles-ci serviront surtout à identifier les récipiendiaires d'aides sociales, tandis qu'une base de donnée centralisée accompagne ce projet. L'Inde n'a pas de registre centralisé d'état-civil, alors autant investir dans le flicage ultra-moderne. Sur Infotech (5/11/09).


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mercredi 3 février 2010

Cartes d'identité: la CEDH, le langage & la religion

La carte d'identité et le nom sont deux dispositifs d'identification fondamentaux des Etats modernes. Aussi savoir ce qu'on inclut dedans est-il aussi important que de s'interroger sur ce qui en est exclu.

Deux arrêts récents de la CEDH (Cour européenne des droits de l'homme) définissent un peu plus le cadre légitime de ce qui est acceptable, ou non, en ce qui concerne ces artefacts modernes. Le premier concerne la religion, le second le langage - plus exactement, l'alphabet.

Avant d'examiner ces arrêts, gardons en tête la remarque du président de la Cour, Costa, selon laquelle « la religion devient d'autant plus politique qu'elle est moins pratiquée », ajoutant - non sans une certaine naïveté feinte - qu'« en réalité, ce n'est pas la Cour qui devient politique, mais le fait que tout devient politique y compris et notamment la religion ».

Au fait... La CEDH condamne la mention même d'une case religion, fût-elle vide, sur les cartes d'identité:

« le fait de laisser vide [une case consacrée à la religion] a inévitablement une connotation spécifique » (§ 51) et constitue une « déclaration involontaire de ses croyances religieuses lors de chaque usage » de la carte d’identité (§ 50), mais « l'attitude consistant à demander qu'aucune mention ne figure sur les cartes d'identité a [également] un lien étroit avec les convictions les plus profondes de l'individu » de sorte que « la divulgation d'un des aspects les plus intimes de l'individu est toujours en jeu ». (§ 51).

CEDH, Sinan Işik c. Turquie, 2 février 2010

Ce qui peut étonner vu de France... mais s'il s'agit ici de la Turquie, la Grèce elle-même, où l'orthodoxie est religion d'Etat, n'a proscrit la mention de la religion sur la carte d'identité qu'avec la décision de l'Autorité grecque de protection des données (équivalent de la CNIL) en 2000 (décision n°510-17). Interdiction que des Grecs ont tenté sans succès de contester à Strasbourg (Sofianopoulos et autres c. Grèce, 12 déc. 2002).

Ensuite, en rappelant que le nom d’une personne, « en tant que moyen d'identification personnelle et de rattachement à une famille, […] concerne […] la vie privée et familiale de celle-ci », confirmant l'évolution du nom, principe d'ordre public*, vers un droit subjectif au nom, elle refuse néanmoins à des Kurdes d'utiliser les lettres q, w et x, qui ne figurent pas dans l'alphabet utilisé en turc, pour écrire leur prénom. La "liberté linguistique" a ses limites, et l'ingérence dans la vie privée que constitue l'interférence dans la liberté de s'auto-désigner est légitimée, en ce que l'Etat turc ne ridiculiserait pas les kurdes en les obligeant à translitérer leurs prénoms en accord avec l'alphabet turc (Taşkin et autres c. Turquie, 2 février 2010).

Dérisoire? Pas tant si l'on connaît les pressions exercées par l'administration française, le plus souvent sans succès, pour la francisation des noms... Les frontières de l'Etat-nation commencent ainsi avec... l'alphabet! 

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