La carte d'identité et le nom sont deux dispositifs d'identification fondamentaux des Etats modernes. Aussi savoir ce qu'on inclut dedans est-il aussi important que de s'interroger sur ce qui en est exclu.
Deux arrêts récents de la CEDH (Cour européenne des droits de l'homme) définissent un peu plus le cadre légitime de ce qui est acceptable, ou non, en ce qui concerne ces artefacts modernes. Le premier concerne la religion, le second le langage - plus exactement, l'alphabet.
Avant d'examiner ces arrêts, gardons en tête la remarque du président de la Cour, Costa, selon laquelle « la religion devient d'autant plus politique qu'elle est moins pratiquée », ajoutant - non sans une certaine naïveté feinte - qu'« en réalité, ce n'est pas la Cour qui devient politique, mais le fait que tout devient politique y compris et notamment la religion ».
Au fait... La CEDH condamne la mention même d'une case religion, fût-elle vide, sur les cartes d'identité:
« le fait de laisser vide [une case consacrée à la religion] a inévitablement une connotation spécifique » (§ 51) et constitue une « déclaration involontaire de ses croyances religieuses lors de chaque usage » de la carte d’identité (§ 50), mais « l'attitude consistant à demander qu'aucune mention ne figure sur les cartes d'identité a [également] un lien étroit avec les convictions les plus profondes de l'individu » de sorte que « la divulgation d'un des aspects les plus intimes de l'individu est toujours en jeu ». (§ 51).
CEDH, Sinan Işik c. Turquie, 2 février 2010
Ce qui peut étonner vu de France... mais s'il s'agit ici de la Turquie, la Grèce elle-même, où l'orthodoxie est religion d'Etat, n'a proscrit la mention de la religion sur la carte d'identité qu'avec la décision de l'Autorité grecque de protection des données (équivalent de la CNIL) en 2000 (décision n°510-17). Interdiction que des Grecs ont tenté sans succès de contester à Strasbourg (Sofianopoulos et autres c. Grèce, 12 déc. 2002).
Ensuite, en rappelant que le nom d’une personne, « en tant que moyen d'identification personnelle et de rattachement à une famille, […] concerne […] la vie privée et familiale de celle-ci », confirmant l'évolution du nom, principe d'ordre public*, vers un droit subjectif au nom, elle refuse néanmoins à des Kurdes d'utiliser les lettres q, w et x, qui ne figurent pas dans l'alphabet utilisé en turc, pour écrire leur prénom. La "liberté linguistique" a ses limites, et l'ingérence dans la vie privée que constitue l'interférence dans la liberté de s'auto-désigner est légitimée, en ce que l'Etat turc ne ridiculiserait pas les kurdes en les obligeant à translitérer leurs prénoms en accord avec l'alphabet turc (Taşkin et autres c. Turquie, 2 février 2010).
Dérisoire? Pas tant si l'on connaît les pressions exercées par l'administration française, le plus souvent sans succès, pour la francisation des noms... Les frontières de l'Etat-nation commencent ainsi avec... l'alphabet!
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