mercredi 30 mai 2012

La carte d'identité obligatoire: histoire d'un non-débat

Retour sur la nouvelle loi ayant instauré la carte d'identité biométrique, dite de "protection de l'identité". Dans un billet récent, j'avais soulevé l'hypothèse qu'insidieusement, elle aurait peut-être rendu la carte d'identité obligatoire. La question, pourtant importante, d'autant plus qu'on se rappelle que seul Vichy l'avait rendu obligatoire, n'a été évoquée que lors d'une seule séance, le 29 juin 2011 à l'Assemblée, par le rapporteur. Elle n'a fait l'objet d'aucun débat durant les six mois de discussion concernant cette loi, l'article 1 n'ayant suscité aucun amendement !

Synthèse 

Le rapporteur Ph. Goujon précisa en effet certaines modifications qu'apporte cet article, auparavant présenté au Sénat comme ne modifiant en rien le régime juridique existant, à savoir, selon lui, principalement :
  • le fait de limiter le caractère justificatif de l'identité aux titres en cours de validité, ce qui n'était pas le cas auparavant dès lors que la photo demeurait ressemblante;
  • et de dissuader les entreprises d'exiger d'autres justificatifs d'identité que la carte nationale d'identité (CNI) ou le passeport
(le lecteur pressé peut consulter les sections citées, en bleu, 1. Un titre d’identité ou de voyage en cours de validité suffira à justifier de son identité et la suivante, Preuve de l'identité, dans lequel ce sujet est abordé par le maire du XVe arrondissement de Paris). 

N'a jamais été évoqué le fait que les passeports étrangers aient été exclus de cet article, pas plus que la contradiction entre une CNI de facto obligatoire, notamment pour tout déplacement à l'intérieur de l'espace de Schengen, mais aussi pour nombre d'autres activités de la vie quotidienne, et son statut de jure facultatif, lequel a souvent été utilisé comme argument rhétorique par l'UMP pour prétendre que le "fichier des gens honnêtes" ne concernerait pas l'ensemble de la population.

Retraçons donc ici l'histoire de cet article 1, lequel dispose:
L'identité d'une personne se prouve par tout moyen. La présentation d'une carte nationale d'identité ou d'un passeport français en cours de validité suffit à en justifier.
L'article 1 n'est-il qu'une reprise de règles pré-existantes? Oui, non... quand les sénateurs s'en fichent!

Cet article est présent dès le début, à savoir le 27 juillet 2010, dans la proposition de loi "relative à la protection de l'identité" déposée au Sénat par Jean-René Lecerf (UMP), auteur du rapport de 2005 sur la biométrie (Identité intelligente (sic) et respect des libertés (re-sic)), et Michel Houel (UMP).

Dans l'exposé des motifs, ils déclarent alors:
L'article 1er rappelle la règle, qui figure actuellement à l'article 78-2 du code de procédure pénale, selon laquelle l'identité d'une personne se prouve par tout moyen. Il se déduit de cette mention que le projet n'entend pas conférer à la carte nationale d'identité un caractère obligatoire. Pour autant, le passeport et la carte nationale d'identité en cours de validité se voient reconnaître une valeur probante particulière : leur production suffit à établir l'identité d'une personne.
 Le 13 avril 2010, à l'occasion de l'examen de la proposition de loi par la Commission des lois du Sénat, laquelle avait nommé François Pillet (UMP) rapporteur, celui-ci, avocat de son métier, affirme dans son rapport:
Le présent article tend à poser le principe selon lequel l'identité d'une personne se prouve par tout moyen. La présentation d'une carte nationale d'identité ou d'un passeport français en cours de validité suffirait à en justifier.

Il reprend en cela une règle déjà énoncée à l'article 78-3 du code de procédure pénale, ainsi qu'aux articles premiers des textes instituant la carte nationale d'identité et le passeport français. Regrouper ces dispositions dans l'article premier de ce texte, qui vise à poser le socle législatif des principes applicables à la protection de l'identité est opportun.

Votre commission a adopté l'article premier sans modification.
Commentaire: on note déjà que si pour J.-R. Lecerf et M. Houel, cet article "[rappelait] la règle qui figure actuellement à l'art. 78-2" du CPP, lequel indique dans quels cas un contrôle d'identité est légal (et oui, le contrôle d'identité n'est possible que sous certaines conditions, il est vrai très larges...), désormais, F. Pillet affirme qu'il "reprend en cela une règle déjà énoncée à l'art. 78-3" du CPP, à savoir celui régissant la "vérification d'identité" au poste.

L'art. 78-2 cité par J.-R. Lecerf indique en effet:
Les officiers de police judiciaire et (...) peuvent inviter à justifier, par tout moyen, de son identité toute personne à l'égard de laquelle existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner...
L'art. 78-3 indique que la vérification d'identité, qui n'a lieu que "si l'intéressé refuse ou se trouve dans l'impossibilité de justifier de son identité", conduit l'intéressé à être:
présenté immédiatement à un officier de police judiciaire qui le met en mesure de fournir par tout moyen les éléments permettant d'établir son identité et qui procède, s'il y a lieu, aux opérations de vérification nécessaires.
(...) Si la personne interpellée maintient son refus de justifier de son identité ou fournit des éléments d'identité manifestement inexacts, les opérations de vérification peuvent donner lieu, après autorisation du procureur de la République ou du juge d'instruction, à la prise d'empreintes digitales ou de photographies lorsque celle-ci constitue l'unique moyen d'établir l'identité de l'intéressé.

Par conséquent, il est vrai que cet article 1er ne fait que reprendre une disposition déjà présente dans le CPP, indiquant - qu'en théorie - l'identité d'une personne se prouve "par tout moyen". Cependant, le CPP indique aussi qu'en cas de refus ou d' "impossibilité de justifier de son identité", le contrôle d'identité se poursuit en vérification d'identité au poste  - celle-ci peut prendre jusqu'à 4 heures, ou 8 heures à Mayotte, ce qui est une violation manifeste de l'égalité d'application de la loi sur le territoire, s'agissant d'une matière aussi importante que la privation de liberté... ; et si l'intéressé s'obstine dans son refus, "ou fournit des éléments d'identité manifestement inexacts", alors peut avoir lieu un prélèvement d'empreintes digitales ou de photographies.

Quant aux décrets instaurant la carte nationale d'identité (CNI) et le passeport, l'art. 1er du décret de 1955 instituant la CNI évoqué par F. Pillet indique qu'une "carte nationale certifiant l'identité de son titulaire" est instaurée ; la même formulation est reprise par le décret de 2005 sur le passeport, lequel dispose dans son art. 1er que "le passeport , le passeport de service et le passeport de mission (...) certifient l'identité de leur titulaire."

 Dès lors, si le premier alinéa de l'art. 1 précité ("L'identité d'une personne se prouve par tout moyen.") reprend bien une règle énoncée dans le CPP, la seconde ("La présentation d'une carte nationale d'identité ou d'un passeport français en cours de validité suffit à en justifier.") modifie la formulation des décrets, puisqu'on passe d'une certification d'identité au fait que ces documents d'identité "suffisent à justifier" l'identité.

En toute rigueur, il est donc inexact de dire que cet article ne fait que reprendre des dispositions déjà pré-existantes. Ce sera aux juges de trancher la question de savoir si l'expression "certifier l'identité" revient au même que celle de "suffire à justifier l'identité".

Par ailleurs, il est également faux de dire qu'on est à droit constant en se fondant sur les dispositions citées par nos parlementaires. Outre le fait qu'on passe du statut de décret au statut de loi, les décrets sur la CNI ou les passeports n'indiquent nulle part que le passeport doit être "en cours de validité". Plus encore: à l'art. 11, le décret sur le passeport indique :
Lors du renouvellement, le nouveau passeport est remis après restitution de l'ancien passeport.
L'ancien passeport peut être conservé par le demandeur dans le cas où il comporte un visa en cours de validité pour la durée de validité de ce visa.
On note au passage que l'art. 1er de la nouvelle loi exclut de sa formulation les passeports étrangers, ce qui pose un certain nombre de question pour les visiteurs de notre pays si hospitalier s'ils avaient la joie de faire connaissance avec cette tradition française du contrôle d'identité, qui étonne toujours les Anglo-Saxons. Ce sont pourtant ceux qui ont le plus besoin qu'un document de voyage ou d'identité, fût-il étranger, "suffise à justifier de leur identité", puisque dans la mesure où l'Etat français ne semble guère faire confiance à ses homologues, il est douteux qu'il fasse confiance, par exemple, à une carte d'étudiant émise par un établissement étranger. Par ailleurs, un visiteur, surtout touriste, aurait plus de mal à faire appel à ses amis pour établir son identité, ou encore à appeler sa famille à l'étranger pour qu'elle confirme à l'agent des forces de l'ordre son identité, en énumérant sa filiation complète et son lieu et date de naissance...

Les débats au Sénat (31 mai 2010): une CNI déjà mi-obligatoire, mi-facultative...

Suite des débats: le 31 mai 2010, lors de la lecture au Sénat en première séance, le rapporteur F. Pillet affirme:
La carte d’identité ne devenant pas obligatoire, ni a fortiori son dispositif optionnel, la commission des lois a interdit que l’accès aux transactions aux services en ligne puisse être conditionné à l’utilisation de la fonctionnalité d’identification électronique de la carte.
Le ministre de l'Intérieur Claude Guéant renchérit:
Toujours gratuite et facultative, cette carte sera équipée de deux composants électroniques [à savoir la puce dite "régalienne", biométrique et entérinée par le Conseil constitutionnel, et la puce commerciale, censurée par le CC - notons que Guéant prétend alors que la "signature électronique [est] possible dans presque tous les pays", ce qui est une énormité et rendrait tous les efforts en ce sens de la Commission européenne complètement inutiles...]

Pour Anne-Marie Escoffier (Parti radical de gauche, PRG), cette loi a un double objectif, "renforcer les moyens de lutte contre les fraudes à l'identité", et...
simplifier le quotidien des citoyens en leur permettant d’apporter la preuve « par tout moyen » de leur identité dans certaines de leurs démarches de la vie courante.
On ne voit pas trop en quoi cette loi simplifierait nos vies si elle se contentait de nous permettre de justifier "par tout moyen" de notre identité... Mais Escoffier ajoute:
La carte nationale d’identité comme le passeport sont les deux documents privilégiés pour faire foi de son identité, mieux qu’avec le permis de conduire ou le permis de chasser par exemple, mais ils n’ont de caractère obligatoire que dans certaines circonstances, les voyages à l’étranger notamment.
Ce qui est rigoureusement exact, et souligne au passage qu'il est faux de dire que la CNI est facultative, puisqu'elle devient obligatoire dès lors qu'on veut aller dans un autre pays de l'Union européenne - et ce, même pour les bébés de 5 mois. De plus, s'il est loisible à chacun de justifier son identité par "tout moyen" dans l'Hexagone, comme chacun sait, la CNI et les passeports sont quand même pris davantage aux sérieux, que ce soit par les forces de l'ordre ou par des agences commerciales.

Virginie Klès, l'apparentée PS précitée qui soutient le "lien faible", souligne, elle, le caractère de facto obligatoire de la CNI, en France :
J’ai entendu dire tout à l'heure que la carte nationale d’identité n’est pas obligatoire mais qu’elle est facultative. C’est peut-être vrai en théorie, mais l’on sait bien que, en pratique, ce n’est pas le cas, puisque l’administration nous demande à tout moment de présenter notre carte ou sa photocopie. La carte nationale d’identité est de facto un titre obligatoire dans notre vie quotidienne. Nous serons donc tous fichés dans cette base de données, monsieur le ministre !
A la suite de ce débat, l'article 1 est adopté tel quel. Lors de l'examen du texte par la Commission des lois de l'Assemblée nationale, le 29 juin 2011, il est également repris, aucun amendement n'ayant été déposé sur le sujet. C'est ce qui s'appelle passer comme une lettre à la poste, les points ici soulevés n'ayant fait l'objet d'aucun débat ! Pourtant, le rapporteur, Ph. Goujon (UMP), affirme alors que "de nombreuses garanties ont été apportées pour protéger les libertés individuelles", citant parmi celles-ci le fait que la "nouvelle carte d’identité demeurera facultative et gratuite"... 

Son rapport, rédigé au nom de la Commission des lois et enregistré le même jour, contient un développement intéressant sur la question, pourtant non débattue:
1. Un titre d’identité ou de voyage en cours de validité suffira à justifier de son identité
L’article premier de la proposition de loi, qui rappelle que l’identité d’une personne se prouve par tout moyen – ce principe figure déjà à l’article 78-2 du code de procédure pénale – tend à faire de la carte nationale d’identité ou du passeport français « en cours de validité » le moyen privilégié pour prouver son identité.
Cette rédaction poserait clairement cette règle, de telle sorte qu’aucun opérateur économique ne pourrait exiger d’un de ses clients autre chose que l’un de ces deux documents pour prouver son identité.
À l’inverse, la seule production de l’un de ces deux documents suffirait à prouver l’identité de la personne. Soulignons par exemple que la présentation du permis de conduire n’est pas acceptée par de nombreuses entreprises qui souhaitent s’assurer de l’identité de leurs clients.
Il convient de souligner que cette carte d’identité électronique ne permettra en aucun cas la géolocalisation de son titulaire, contrairement au téléphone portable [ouf !].
Sa puce « régalienne », comportant les données biographiques et biométriques de la personne, bien que sans contact, ne pourra être lue qu’à un centimètre de distance, par un lecteur spécifique lui impulsant une charge électrique activant la visibilité des données stockées.
De plus, les données transmises au lecteur seront cryptées, ne pouvant être décryptées qu’au moyen d’une clé électronique régalienne. Il sera donc impossible à un individu malveillant d’intercepter ces données, sachant que pour les intercepter à une distance de 10 mètres, outre le fait de posséder la clé de décryptage des données ainsi qu’un moyen d’activer la lisibilité des données par transmission d’une chargé électrique à la puce, il lui faudrait disposer d’une antenne de 10 mètres de hauteur.
Autrement dit, selon le rapporteur à l'Assemblée, l'art. 1er s'adresse principalement aux entreprises. Mais alors, pourquoi prétend-il qu'il ne s'agit que d'une reprise de l'art. 78-2 du Code de procédure pénale - lequel ne concerne que les contrôles d'identité effectués par les forces de l'ordre? Et pourquoi ce point, important, de la justification d'identité dans la "vie courante", pour reprendre les mots de la sénatrice Escoffier, n'a-t-il fait l'objet d'aucun débat?

Lors de l'examen de cet article, adopté, donc, et sans débats, le 29 juin 2011, il précise:
Preuve de l’identité
Le présent article propose de faire de la carte nationale d’identité ou du passeport français le moyen privilégié pour prouver son identité.
Il rappelle en premier lieu que l’identité d’une personne se prouve par tout moyen. Ce principe figure déjà à l’article 78-2 du code de procédure pénale, que le présent article n’entend pas modifier.
En second lieu, le présent article tend à faire de la carte nationale d’identité ou du passeport français « en cours de validité » le moyen privilégié pour prouver son identité.
Selon les informations recueillies par votre rapporteur auprès du ministère de l’intérieur, cette précision aurait un double intérêt :
—  d’une part, elle poserait clairement ce principe, de telle sorte qu’aucun opérateur économique ne pourrait exiger autre chose que l’un de ces deux documents d’un de ses clients pour prouver son identité. À l’inverse, la seule production de l’un de ces deux documents suffirait à prouver l’identité de la personne. Soulignons par exemple que la présentation du permis de conduire n’est pas acceptée par de nombreuses entreprises qui souhaitent s’assurer de l’identité de leurs clients.
—  d’autre part, elle permettait de s’assurer de la fiabilité du titre d’identité puisque l’État s’engage, durant toute la validité du document sur son authenticité. En revanche, quelques années après sa péremption, l’État n’est pas toujours en mesure d’apporter la même garantie. Par exemple, il est tenu de supprimer les données à caractère personnel après un délai de quinze ans.
Bien que le présent article ne prévoit pas qu’une carte nationale d’identité périmée ne permette pas de prouver son identité, le fait que la présentation de ce document en cours de validité apparaisse comme un moyen privilégié de la prouver implique qu’a contrario la production d’une carte périmée pourrait de moins en moins être acceptée aux mêmes fins.
Rappelons qu’aujourd’hui le ministère de l’intérieur précise, sur son site internet, que la CNI périmée « permet à son titulaire de certifier de son identité, même lorsqu’elle est périmée, sous réserve dans ce cas que la photo soit ressemblante ». Ceci est d’ailleurs confirmé par une communication de la CNIL du 18 février 2005 qui précise que la carte nationale d’identité « est valable dix ans, mais, même périmée, elle permet de justifier de son identité tant que la photo est ressemblante ».
À titre d’exemple, si un passager aérien d’un vol intérieur est tenu de justifier de son identité, il peut le faire au moyen d’une carte nationale d’identité périmée. Cette possibilité est confirmée par l’autorité administrative comme en témoigne la réponse du ministère de l’intérieur du 2 août 2008 à la question n°02572 (Sénat) :
« En effet, même pour accomplir un simple vol intérieur, ces passagers sont strictement tenus d’être en mesure de présenter un document attestant de leur identité. De même, s’agissant des vols directs entre la métropole et les collectivités d’outre-mer, et dès lors que ce type de trajet emporte nécessairement le franchissement d’une frontière extérieure de l’espace Schengen, la carte nationale d’identité (même périmée) peut être exigée afin de justifier de sa qualité de citoyen de l’Union européenne et du droit communautaire à la libre circulation qui s’y rattache. »
Il est vrai que l’article premier du décret n° 55-1397 du 22 octobre 1955 instituant la carte nationale d’identité prévoit qu’il est « institué une carte nationale certifiant l’identité de son titulaire ». De même, l’article premier du décret n° 2005-1726 du 30 décembre 2005 relatif aux passeports précise que les passeports « certifient l’identité de leur titulaire ».
Aucun de ces deux textes, de valeur réglementaire, ne réservait un effet juridique particulier à ces titres d’identité en cours de validité.
Cet article n’a pas été modifié au cours de l’examen de la proposition de loi par le Sénat.
Cela confirme en tous points nos remarques ci-dessus concernant la nouveauté de cet article à l'égard de la validité des titres d'identité et de voyage. Soulignons également le raisonnement a contrario que Ph. Goujon effectue, lequel est tout à fait analogue à celui effectué dans notre précédent billet.

Les débats à l'AN du 7 juillet 2011

Lors de l'examen en séance publique devant l'Assemblée, le 7 juillet 2011, Guéant ré-affirme que cette carte est "gratuite et facultative", et ignore donc les points soulevés par le rapport de Ph. Goujon. Ce dernier n'évoque pas non plus ces aspects. Serge Blisko (PS) évoque alors, au sujet de la reconnaissance faciale, "un avenir assez inquiétant et qui ne relève pas seulement de la science-fiction". Il se trompe ensuite, en indiquant :
à ce jour, la collecte d’empreintes digitales ne s’effectue que pour la délivrance d’un passeport puisqu’il n’y en a pas sur nos cartes d’identité plastifiées. Les personnes n’ayant pas besoin d’un passeport et ne souhaitant pas donner leurs empreintes – hors enquête de police – pouvaient simplement demander une carte nationale d’identité. Désormais, il n’y aura plus de choix : pour obtenir un titre d’identité ou de voyage, la collecte de données biométriques sera systématique.
Or, on l'a vu, le décret de 1999 modifiant le décret de 1955 sur la carte d'identité impose le relevé d'une empreinte digitale, laquelle n'est effectivement pas stockée sur la carté d'identité, ni sur un fichier informatisé.

Serge Blisko, qui demande au nom du PS le retrait du texte afin d'obtenir les avis de la CNCDH (Commission nationale consultative des droits de l'homme) et du Conseil d'Etat, cite alors un extrait de la loi du 27 octobre 1940, promulguée sous Vichy:
« Obligation de détenir une carte d’identité à partir de seize ans, comportant les empreintes digitales et la photographie, et de déclarer tout changement d’adresse. Institution d’un fichier central de la population et d’un numéro d’identification individuel. »
En réponse, Guéant persiste et signe:
Je précise par ailleurs qu’il ne s’agit pas d’un fichage général de la population. Comme vous l’avez du reste indiqué au détour d’un autre développement [qui a du nous échapper...], la détention de la carte d’identité électronique n’est pas une obligation.
Jean-Paul Lecoq (PCF) le reprend, évoquant pour la première fois lors de ce débat la question des contrôles au faciès, pourtant centrale vu le cadre :
Pour l’instant, j’en reste à ce qu’a dit M. le ministre, à savoir que la carte d’identité n’est pas obligatoire. Certes, mais il faut tout le temps justifier son identité ou, du moins, de plus en plus souvent, notamment dans le métro, a fortiori si l’on présente certaines particularités physiques.
Sandrine Mazetier (PS) rappelle alors la tendance à l’œuvre vers l'obligation de s'identifier à tout bout de champ - l'un des motifs, ajoutons, de la loi sur le voile... :
La vérification d’identité n’est plus aujourd’hui l’apanage des policiers. Pas plus tard qu’hier, en commission des affaires économiques, à l’occasion de l’examen du projet de loi sur les droits, la protection et l’information des consommateurs, les agents de la DGCCRF ont ainsi été autorisés à vérifier l’identité d’un éventuel ou présumé contrevenant. Les agents habilités à procéder à des vérifications d’identité et qui auront demain accès à ces fichiers sont donc de plus en plus nombreux.
La navette et l'usage rhétorique du caractère facultatif en droit de la CNI 

Le Sénat ignore purement et simplement l'art. 1 en deuxième lecture. Lorsque le texte est ré-examiné par l'Assemblée, le 13 décembre 2011, le rapporteur Goujon s'appuie à nouveau sur le supposé caractère facultatif de la CNI pour justifier le fichage, prétendu "administratif" :
Il s’agit d’un fichier administratif et non de police, qui concerne 45 millions de personnes – et non 60, puisque la carte d’identité est facultative.
Il réitère le même jour, en séance publique.

Le texte passant en Commission mixte paritaire, la sénatrice Virginie Klès déclare alors, en séance du 26 janvier 2012, après son épique métaphore des chaussettes illustrant le débat lien fort/lien faible:
Il ne m’a pas échappé que la détention de la carte nationale d’identité n’est pas légalement obligatoire. Mais dans la vie courante, elle l’est. Pour partir en voyage scolaire, au collège, nos enfants ont besoin d’une carte nationale d’identité.
Détail de la vie pratique qui avait sans doute échappé aux mâles parlementaires...  Lors du nouvel examen, par le Sénat, le 21 février 2012, la sénatrice Esther Benbassa, qui s'oppose, au nom des Verts, à tout fichier biométrique, fût-il à "lien faible", évoque à son tour le caractère obligatoire de la carte d'identité des Français mise en place par Vichy. A.-M. Escoffier, quant à elle, déclare:
Le texte initial, enrichi, il faut l’admettre, au cours des différentes lectures (...), devait permettre à tout un chacun d’apporter par tout moyen la preuve de son identité. La nouvelle carte d’identité, qui reste au demeurant un titre non obligatoire, pouvait être utilisée comme un instrument non seulement d’authentification lors de démarches administratives, mais aussi de transaction commerciale sur Internet, si son propriétaire le souhaitait. (...)
Aujourd’hui, le tout-sécuritaire nous enserre, nous étouffe !
Virginie Klès revient à la charge, suggérant un amendement provocateur à l'art. 5 instaurant le fichier, lequel exigerait le consentement de chacun à être fiché, rendant de fait le fichier facultatif :
On nous dit aussi que la carte d’identité n’est pas obligatoire, ce qui est vrai sur le plan légal ; dans la pratique, elle l’est. Posons la question à chaque Français lors de la délivrance de sa carte d’identité, en lui expliquant que ses données figureront dans une base à lien fort.
Enfin, lors de la lecture définitive du texte à l'Assemblée, le 29 février 2012, le rapporteur Goujon insiste à nouveau, à plusieurs reprises sur le caractère prétendument facultatif de la CNI. Il s'exclame même, après une intervention de J.-J. Urvoas (PS) s'inquiétant de l'étendue du fichier, "La carte d’identité est facultative !"


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11 commentaires:

  1. Je n'étais pas convaincu au début de l'article, je le suis à la fin. À première vue, l'article 1 me parait même légalement plus permissif. Il rappelle que tout moyen fonctionne pour prouver son identité, et pas seulement une CNI ou un passeport. Ensuite, il ajoute que la CNI seule ou le passeport seul justifient une identité. Et je ne suis pas d'accord avec toi : pour moi, "certifient une identité" et "suffit à justifier l'identité" ne sont pas incompatibles. Puisqu'elles certifient l'identité de son porteur, ces pièces sont suffisantes (on n'a besoin que d'elles) pour justifier son identité. Pour moi, cet article pourrait permettre de refuser de présenter autre chose que seulement une CNI ou un passeport, si le contrôleur est trop insistant.
    Mais tout ça, c'est en termes de droit. Comme le montre l'article, en termes pratiques, tout change. On nous demande toujours de justifier notre identité. La question est de savoir si c'est légal, puisque selon la loi, seuls les agents assermentés ont le droit de contrôler une identité. Mon banquier le peut-il ? Mon assureur, grâce au code des assurances ? Un magasin qui demande un contrôle pour payer par chèque, une loi l'autorise-t-il ? Et mon employeur ? Sont-ils tous dans l'illégalité… théorique ?
    Dans tous ces cas, ça ne me gênait pas de devoir refuser explicitement de présenter une CNI. Donc elle restait fort pratique mais toujours facultative. Mais l'obligation d'en détenir une pour voyager, et donc de la faire faire à ses enfants pour qu'ils puissent voyager, et donc de les ficher définitivement, là, on ne peut plus dire que le fichage qui viendrait avec la nouvelle carte est facultatif. L'hypocrisie des uns et la négligence des autres est bien mise en exergue dans l'article, et elle est grave.

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    1. Merci de votre retour. La loi non seulement autorise, mais exige, dans certains cas, que les banques ou les commerçants vérifient l'identité à partir d'un "document officiel portant photographie" - ce qui laisse une marge (notamment le permis de conduire).

      Pour les banques, c'est à l'ouverture du compte que cela doit être fait (R312-2 Code monétaire & fi - avec une précision pour les SDF - droit au compte - qui eux, doivent montrer une carte d'identité).

      Il y avait eu une histoire assez glauque sur le sujet: http://www.rue89.com/2009/10/13/sans-papiers-expulse-les-explications-de-la-societe-generale

      Pr paiement par chèque, L131-15 Code mon & fi et : http://questions.assemblee-nationale.fr/q13/13-83992QE.htm .

      Je n'ai pas dit que "certifier" et "justifier" étaient incompatibles, simplement que ce sont des expressions différentes. Je ne sais pas si cela pourrait, ou non, avoir des conséquences juridiques - et il est possible que pas même le législateur ne le sache, puisque ce sera en effet au juge d'interpréter la loi. Et il trouvera peu de choses dans les débats parlementaires pour l'éclairer sur l'intention du législateur, laquelle reste plutôt opaque.

      Enfin, je serai peut-être moins dur que vous: pour l'hypocrisie, sans aucun doute; pour la négligence, il me semble qu'il y a des règles concernant le temps de parole & d'examen d'une loi, à l'AN et au Sénat.

      Dès lors, il n'est pas impossible que la gauche ait préféré se concentrer sur le fichier, le débat lien faible/lien fort, et la puce de commerce, plutôt que sur cet article. Il n'est pas douteux, cependant, qu'il ait au moins un effet, c'est de mettre un terme à l'acceptation des CNI & passeports périmés.

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    2. Merci pour ce commentaire qui complète bien ma réponse et éclaire plusieurs points.

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    3. Thierry Dufour14 juin 2012 à 04:35

      Monsieur,

      Je travaille au sein d'un cabinet d'avocat spécialisé en droit de l'immigration à Paris.
      Je suis en train de constituer un dossier de délivrance d'un certificat de nationalité française pour un ressortissant algérien. Ses grands-parents disposaient tous deux d'une carte nationale d'identité française délivrée par la sous-préfecture de Nemours en 1957. Celles-ci portent la mention "Nationalité : Française".
      Sa grand-mère disposait également d'un passeport délivré par la sous-préfecture de Nemours en 1958 indiquant la mention "nationalité : française".

      A l'époque, l'Etat Français distinguaient les Français Musulmans, qui dépendaient du statut de droit local, des Français qui disposaient du statut de droit commun.
      Seuls ces derniers ont conservé sans démarche obligatoire la nationalité française après l'indépendance de l'Algérie au 1er janvier 1963.

      J'ai trouvé une jurisprudence récente de la Cour de Cassation qui indique que les livrets militaires délivrés avant l'indépendance aux Français Musulmans comportaient la mention "Français musulman".

      Ma question est la suivante : la règle était-elle la même pour les cartes d'identité française et les passeports après la réforme par la loi de 1955 ?
      Indiquait-on pour les uns "Français musulman" et pour les autres "Français" ?

      Je reste à votre disposition pour tout renseignement complémentaire et je vous remercie par avance de toute information que vous pourriez me transmettre à ce sujet.

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    4. Merci pour ces questions passionnantes, qui soulignent la complexité des relations entre citoyenneté & nationalité et les différents degrés de citoyenneté qui existaient dans les Empires coloniaux (le cas français n'étant pas unique).

      Bien qu'on trouve sur le net des témoignages faisant état de telles cartes, le seul article académique traitant de ce sujet que je connaisse n'en fait pas état.

      En effet, un article d'Alexis Spire dans la revue Genèses ( http://ceraps.univ-lille2.fr/fileadmin/user_upload/enseignants/Spire/Textes/Article_geneses.pdf ) indique que l'un des motifs du décret de 1955 sur la carte d'identité fut précisément d'uniformisé celle-ci, car jusque-là leur fabrication et notamment les rubriques de signalement pouvaient varier selon les préfectures.

      Ce qui tendrait à indiquer, si les témoignages postés sur des forums Internet sont exacts, que les cartes dont il est question précèdent 1955.

      Cet article passionnant indique en outre que le décret de 1955 et l'instauration de cette CNI était motivée en grande partie par la "question algérienne" - ce qui, il me semble, n'avait pas été signalée, ou bien trop vite, par les historiens des procédures d'identification étatique.

      L'article est en plein dans le sujet de ce post, puisqu'il souligne que la CNI, facultative, était de facto obligatoire pour les Algériens venant en France ainsi que pour toute sortie du territoire métropolitain.

      Il reproduit en outre des papiers intéressants, tels un certificat de recensement d'Algérien dénué doté d'état civil, et portant deux empreintes digitales (ce certificat donnait lieu à un fichier de la Sûreté générale), ou des "cartes de résidence de citoyens de l'Union française", à savoir l'Indochine.

      PS: pour la référence de l'arrêt de la Cass, je suis preneur !

      Cordialement

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  2. Merci pour cet article très intéressant. Mais je me retrouve devant une situation qui me laisse perplexe. J'ai un passeport français en cours de validité mais je n'ai pas de carte d'identité. Or mariée avec canadien en France, nous avons sollicité un visa de long séjour à la préfecture. Cette dernière refuse mon passeport et me demande ma carte d'identité. Est ce légal ?
    Emmanuelle

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  3. Que veut dire présentation de Carte Nationale d'Identité?
    Dans un examen le surveillant a-t-il le droit de partir avec la carte nationale d'identité et de ne la remettre qu'à la fin de l'examen?

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  4. bonjour mon père et mon grand père portent des CIN française 1958 algerie et moi je suis né en 1962 en algerie est ce que j ai le droit une double natinalité
    ;.

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  5. Il me paraît normal que la carte d'identité soit exigée pour tout ce qui est administration et autres. Je pense aussi que part les temps qui courent on n'est jamais assez prudent !

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  6. bonjour, ayant un différent avec un agent de mairie de mon domicile ,je souhaiterais savoir si l'ancienne carte d'identité doit être rendue devenue obligatoire, par un décret ou texte qui le justifie . merci

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  7. Bonjour,
    je me posais la question de savoir quel était l'âge à partir duquel, il fallait pouvoir justifier de son identité sur la voie publique, peut on demander à un enfant circulant seul un justificatif d'identité quel qu'il soit et si oui à partir de quel âge cela est il obligatoire.
    merci de vos réponses

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