mardi 21 juillet 2015

Big Data & vie privée: quand Twitter permet d'identifier les dépressifs

Samaritain, l'A.I. à la Meilleur des mondes de la série TV People of Interest, ça vous rappelle quelque chose? L'an dernier, une firme a créé un mini-Samaritain pour détecter les personnes à tendance suicidaire sur Twitter... Ou les dangers du Big Data.

Le numéro spécial de Science sur l'intelligence artificielle contient un article intéressant, intitulé "Data, privacy, and the greater good" (17 juillet 2015, vol. 349, n°6245, p.253-255).

Les auteurs, E. Horvitz et D. Mulligan, adressent la question des menaces pesant sur la vie privée au vu de l'analyse automatisée du Big Data et des procédés de machine-learning, qui permettent de tirer des inférences potentiellement indiscrètes à partir de données privées rendues publiques (i.e. pages Facebook, fils Twitter, etc.), lesquelles elles ne révèlent a priori rien de sensibles. Seul la coordination des données constitue en effet le caractère sensible de l'information obtenue. Ils insistent à bon droit sur la non-opérativité du concept de "données anonymes" (fortement présent dans la législation) puisqu'il est désormais possible, dans de nombreux cas, de ré-identifier ces données.

Quelques exemples édifiants - qui soulignent, contre d'innombrables tribunes récentes dans les médias, que la santé n'est pas nécessairement un argument de choc pour le partage des données... 

En 2014, une application britannique opérant sur Twitter, nommée Good Samaritan (après la série People of Interest?), affirmait pouvoir détecter, en analysant les fils de discussion, les personnes sujettes à d'éventuels comportements suicidaires. En à peine une semaine, 3 000 personnes s'étaient inscrites à l'application, identifiant les tweets jugés dépressifs de 900 000 comptes! Bien que l'entreprise niait être le gestionnaire des données (data controller, un détail crucial eu égard au droit de la vie privée), elle ferma le service aussitôt, suite à l'émotion soulevée (voir la pétition Shut Down Samaritan Alert). Quoique cette firme n'avait évidemment comme seul but le bienfait de l'humanité, ses détracteurs soulignaient que l'appli pouvait être utilisée par d'éventuelles personnes mal-intentionnées afin de traquer les tweeters fragiles (les dits stalkers). 

Sans tomber sur des psychopathes, on frémit à l'idée de patrons s'abonnant aux comptes tweeters de leurs employés... à des amis ou proches s'intéressant un peu trop à vos états d'âmes... ou à Google estimant votre taux de bonheur en fonction de votre localisation GPS et de l'usage de vos applis sur téléphone. Il est vrai que ce taux est un critère indéniable du bien-être, et doit être pris en compte par toute conception un tant soit peu large de la santé. N'est-ce pas?

Outre Samaritan, des chercheurs de Palo Alto, toujours à la pointe du progrès, ont soutenu qu'on pouvait utiliser Facebook pour détecter les "dépressions post-partum" (1). Cela permettrait sans doute un grand bénéfice pour l'humanité, par exemple en permettant d'envoyer des opérateurs agréés pour vous contraindre à un traitement thérapeutique voire préventif (et oui, il faut être pro-actif!), ou du moins à faire du sport. Ou encore en permettant à un employeur potentiel de mettre en balance ce CV excellent avec ce signe non moins certain d'une moindre productivité. Gagnant-gagnant?

L'article contient également quelques indications sur les rapports de l'administration Obama sur ce sujet.

Notes et références: 

(1) M. De Choudhury, S. Counts, E. Horvitz, A. Hoff, Characterizing and predicting postpartum depression from Facebook data, in Proceedings of International Conference on Weblogs and Social Media [Association for the Advancement of Artificial Intelligence (AAAI), Palo Alto, CA, 2014]

 A lire: Horvitz et Mulligan, Science magazine, 17 juillet 2015, 349 (6245): 253-255, http://www.sciencemag.org 

Voir aussi : "Nos tweets peuvent-ils prédire une attaque cardiaque?", Internet Actu , 6 mai 2015, et le site du psychologue (un doctorant bien loti!) en question : http://www.jeichstaedt.com

Et pour l'anecdote, le premier psychothérapeute robotisé de l'histoire: http://psych.fullerton.edu/mbirnbaum/psych101/Eliza.htm  



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