mercredi 30 mai 2012

La carte d'identité obligatoire: histoire d'un non-débat

Retour sur la nouvelle loi ayant instauré la carte d'identité biométrique, dite de "protection de l'identité". Dans un billet récent, j'avais soulevé l'hypothèse qu'insidieusement, elle aurait peut-être rendu la carte d'identité obligatoire. La question, pourtant importante, d'autant plus qu'on se rappelle que seul Vichy l'avait rendu obligatoire, n'a été évoquée que lors d'une seule séance, le 29 juin 2011 à l'Assemblée, par le rapporteur. Elle n'a fait l'objet d'aucun débat durant les six mois de discussion concernant cette loi, l'article 1 n'ayant suscité aucun amendement !

Synthèse 

Le rapporteur Ph. Goujon précisa en effet certaines modifications qu'apporte cet article, auparavant présenté au Sénat comme ne modifiant en rien le régime juridique existant, à savoir, selon lui, principalement :
  • le fait de limiter le caractère justificatif de l'identité aux titres en cours de validité, ce qui n'était pas le cas auparavant dès lors que la photo demeurait ressemblante;
  • et de dissuader les entreprises d'exiger d'autres justificatifs d'identité que la carte nationale d'identité (CNI) ou le passeport
(le lecteur pressé peut consulter les sections citées, en bleu, 1. Un titre d’identité ou de voyage en cours de validité suffira à justifier de son identité et la suivante, Preuve de l'identité, dans lequel ce sujet est abordé par le maire du XVe arrondissement de Paris). 

N'a jamais été évoqué le fait que les passeports étrangers aient été exclus de cet article, pas plus que la contradiction entre une CNI de facto obligatoire, notamment pour tout déplacement à l'intérieur de l'espace de Schengen, mais aussi pour nombre d'autres activités de la vie quotidienne, et son statut de jure facultatif, lequel a souvent été utilisé comme argument rhétorique par l'UMP pour prétendre que le "fichier des gens honnêtes" ne concernerait pas l'ensemble de la population.

Retraçons donc ici l'histoire de cet article 1, lequel dispose:
L'identité d'une personne se prouve par tout moyen. La présentation d'une carte nationale d'identité ou d'un passeport français en cours de validité suffit à en justifier.
L'article 1 n'est-il qu'une reprise de règles pré-existantes? Oui, non... quand les sénateurs s'en fichent!

Cet article est présent dès le début, à savoir le 27 juillet 2010, dans la proposition de loi "relative à la protection de l'identité" déposée au Sénat par Jean-René Lecerf (UMP), auteur du rapport de 2005 sur la biométrie (Identité intelligente (sic) et respect des libertés (re-sic)), et Michel Houel (UMP).

Dans l'exposé des motifs, ils déclarent alors:
L'article 1er rappelle la règle, qui figure actuellement à l'article 78-2 du code de procédure pénale, selon laquelle l'identité d'une personne se prouve par tout moyen. Il se déduit de cette mention que le projet n'entend pas conférer à la carte nationale d'identité un caractère obligatoire. Pour autant, le passeport et la carte nationale d'identité en cours de validité se voient reconnaître une valeur probante particulière : leur production suffit à établir l'identité d'une personne.
 Le 13 avril 2010, à l'occasion de l'examen de la proposition de loi par la Commission des lois du Sénat, laquelle avait nommé François Pillet (UMP) rapporteur, celui-ci, avocat de son métier, affirme dans son rapport:
Le présent article tend à poser le principe selon lequel l'identité d'une personne se prouve par tout moyen. La présentation d'une carte nationale d'identité ou d'un passeport français en cours de validité suffirait à en justifier.

Il reprend en cela une règle déjà énoncée à l'article 78-3 du code de procédure pénale, ainsi qu'aux articles premiers des textes instituant la carte nationale d'identité et le passeport français. Regrouper ces dispositions dans l'article premier de ce texte, qui vise à poser le socle législatif des principes applicables à la protection de l'identité est opportun.

Votre commission a adopté l'article premier sans modification.
Commentaire: on note déjà que si pour J.-R. Lecerf et M. Houel, cet article "[rappelait] la règle qui figure actuellement à l'art. 78-2" du CPP, lequel indique dans quels cas un contrôle d'identité est légal (et oui, le contrôle d'identité n'est possible que sous certaines conditions, il est vrai très larges...), désormais, F. Pillet affirme qu'il "reprend en cela une règle déjà énoncée à l'art. 78-3" du CPP, à savoir celui régissant la "vérification d'identité" au poste.

L'art. 78-2 cité par J.-R. Lecerf indique en effet:
Les officiers de police judiciaire et (...) peuvent inviter à justifier, par tout moyen, de son identité toute personne à l'égard de laquelle existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner...
L'art. 78-3 indique que la vérification d'identité, qui n'a lieu que "si l'intéressé refuse ou se trouve dans l'impossibilité de justifier de son identité", conduit l'intéressé à être:
présenté immédiatement à un officier de police judiciaire qui le met en mesure de fournir par tout moyen les éléments permettant d'établir son identité et qui procède, s'il y a lieu, aux opérations de vérification nécessaires.
(...) Si la personne interpellée maintient son refus de justifier de son identité ou fournit des éléments d'identité manifestement inexacts, les opérations de vérification peuvent donner lieu, après autorisation du procureur de la République ou du juge d'instruction, à la prise d'empreintes digitales ou de photographies lorsque celle-ci constitue l'unique moyen d'établir l'identité de l'intéressé.

Par conséquent, il est vrai que cet article 1er ne fait que reprendre une disposition déjà présente dans le CPP, indiquant - qu'en théorie - l'identité d'une personne se prouve "par tout moyen". Cependant, le CPP indique aussi qu'en cas de refus ou d' "impossibilité de justifier de son identité", le contrôle d'identité se poursuit en vérification d'identité au poste  - celle-ci peut prendre jusqu'à 4 heures, ou 8 heures à Mayotte, ce qui est une violation manifeste de l'égalité d'application de la loi sur le territoire, s'agissant d'une matière aussi importante que la privation de liberté... ; et si l'intéressé s'obstine dans son refus, "ou fournit des éléments d'identité manifestement inexacts", alors peut avoir lieu un prélèvement d'empreintes digitales ou de photographies.

Quant aux décrets instaurant la carte nationale d'identité (CNI) et le passeport, l'art. 1er du décret de 1955 instituant la CNI évoqué par F. Pillet indique qu'une "carte nationale certifiant l'identité de son titulaire" est instaurée ; la même formulation est reprise par le décret de 2005 sur le passeport, lequel dispose dans son art. 1er que "le passeport , le passeport de service et le passeport de mission (...) certifient l'identité de leur titulaire."

 Dès lors, si le premier alinéa de l'art. 1 précité ("L'identité d'une personne se prouve par tout moyen.") reprend bien une règle énoncée dans le CPP, la seconde ("La présentation d'une carte nationale d'identité ou d'un passeport français en cours de validité suffit à en justifier.") modifie la formulation des décrets, puisqu'on passe d'une certification d'identité au fait que ces documents d'identité "suffisent à justifier" l'identité.

En toute rigueur, il est donc inexact de dire que cet article ne fait que reprendre des dispositions déjà pré-existantes. Ce sera aux juges de trancher la question de savoir si l'expression "certifier l'identité" revient au même que celle de "suffire à justifier l'identité".

Par ailleurs, il est également faux de dire qu'on est à droit constant en se fondant sur les dispositions citées par nos parlementaires. Outre le fait qu'on passe du statut de décret au statut de loi, les décrets sur la CNI ou les passeports n'indiquent nulle part que le passeport doit être "en cours de validité". Plus encore: à l'art. 11, le décret sur le passeport indique :
Lors du renouvellement, le nouveau passeport est remis après restitution de l'ancien passeport.
L'ancien passeport peut être conservé par le demandeur dans le cas où il comporte un visa en cours de validité pour la durée de validité de ce visa.
On note au passage que l'art. 1er de la nouvelle loi exclut de sa formulation les passeports étrangers, ce qui pose un certain nombre de question pour les visiteurs de notre pays si hospitalier s'ils avaient la joie de faire connaissance avec cette tradition française du contrôle d'identité, qui étonne toujours les Anglo-Saxons. Ce sont pourtant ceux qui ont le plus besoin qu'un document de voyage ou d'identité, fût-il étranger, "suffise à justifier de leur identité", puisque dans la mesure où l'Etat français ne semble guère faire confiance à ses homologues, il est douteux qu'il fasse confiance, par exemple, à une carte d'étudiant émise par un établissement étranger. Par ailleurs, un visiteur, surtout touriste, aurait plus de mal à faire appel à ses amis pour établir son identité, ou encore à appeler sa famille à l'étranger pour qu'elle confirme à l'agent des forces de l'ordre son identité, en énumérant sa filiation complète et son lieu et date de naissance...

Les débats au Sénat (31 mai 2010): une CNI déjà mi-obligatoire, mi-facultative...

Suite des débats: le 31 mai 2010, lors de la lecture au Sénat en première séance, le rapporteur F. Pillet affirme:
La carte d’identité ne devenant pas obligatoire, ni a fortiori son dispositif optionnel, la commission des lois a interdit que l’accès aux transactions aux services en ligne puisse être conditionné à l’utilisation de la fonctionnalité d’identification électronique de la carte.
Le ministre de l'Intérieur Claude Guéant renchérit:
Toujours gratuite et facultative, cette carte sera équipée de deux composants électroniques [à savoir la puce dite "régalienne", biométrique et entérinée par le Conseil constitutionnel, et la puce commerciale, censurée par le CC - notons que Guéant prétend alors que la "signature électronique [est] possible dans presque tous les pays", ce qui est une énormité et rendrait tous les efforts en ce sens de la Commission européenne complètement inutiles...]

Pour Anne-Marie Escoffier (Parti radical de gauche, PRG), cette loi a un double objectif, "renforcer les moyens de lutte contre les fraudes à l'identité", et...
simplifier le quotidien des citoyens en leur permettant d’apporter la preuve « par tout moyen » de leur identité dans certaines de leurs démarches de la vie courante.
On ne voit pas trop en quoi cette loi simplifierait nos vies si elle se contentait de nous permettre de justifier "par tout moyen" de notre identité... Mais Escoffier ajoute:
La carte nationale d’identité comme le passeport sont les deux documents privilégiés pour faire foi de son identité, mieux qu’avec le permis de conduire ou le permis de chasser par exemple, mais ils n’ont de caractère obligatoire que dans certaines circonstances, les voyages à l’étranger notamment.
Ce qui est rigoureusement exact, et souligne au passage qu'il est faux de dire que la CNI est facultative, puisqu'elle devient obligatoire dès lors qu'on veut aller dans un autre pays de l'Union européenne - et ce, même pour les bébés de 5 mois. De plus, s'il est loisible à chacun de justifier son identité par "tout moyen" dans l'Hexagone, comme chacun sait, la CNI et les passeports sont quand même pris davantage aux sérieux, que ce soit par les forces de l'ordre ou par des agences commerciales.

Virginie Klès, l'apparentée PS précitée qui soutient le "lien faible", souligne, elle, le caractère de facto obligatoire de la CNI, en France :
J’ai entendu dire tout à l'heure que la carte nationale d’identité n’est pas obligatoire mais qu’elle est facultative. C’est peut-être vrai en théorie, mais l’on sait bien que, en pratique, ce n’est pas le cas, puisque l’administration nous demande à tout moment de présenter notre carte ou sa photocopie. La carte nationale d’identité est de facto un titre obligatoire dans notre vie quotidienne. Nous serons donc tous fichés dans cette base de données, monsieur le ministre !
A la suite de ce débat, l'article 1 est adopté tel quel. Lors de l'examen du texte par la Commission des lois de l'Assemblée nationale, le 29 juin 2011, il est également repris, aucun amendement n'ayant été déposé sur le sujet. C'est ce qui s'appelle passer comme une lettre à la poste, les points ici soulevés n'ayant fait l'objet d'aucun débat ! Pourtant, le rapporteur, Ph. Goujon (UMP), affirme alors que "de nombreuses garanties ont été apportées pour protéger les libertés individuelles", citant parmi celles-ci le fait que la "nouvelle carte d’identité demeurera facultative et gratuite"... 

Son rapport, rédigé au nom de la Commission des lois et enregistré le même jour, contient un développement intéressant sur la question, pourtant non débattue:
1. Un titre d’identité ou de voyage en cours de validité suffira à justifier de son identité
L’article premier de la proposition de loi, qui rappelle que l’identité d’une personne se prouve par tout moyen – ce principe figure déjà à l’article 78-2 du code de procédure pénale – tend à faire de la carte nationale d’identité ou du passeport français « en cours de validité » le moyen privilégié pour prouver son identité.
Cette rédaction poserait clairement cette règle, de telle sorte qu’aucun opérateur économique ne pourrait exiger d’un de ses clients autre chose que l’un de ces deux documents pour prouver son identité.
À l’inverse, la seule production de l’un de ces deux documents suffirait à prouver l’identité de la personne. Soulignons par exemple que la présentation du permis de conduire n’est pas acceptée par de nombreuses entreprises qui souhaitent s’assurer de l’identité de leurs clients.
Il convient de souligner que cette carte d’identité électronique ne permettra en aucun cas la géolocalisation de son titulaire, contrairement au téléphone portable [ouf !].
Sa puce « régalienne », comportant les données biographiques et biométriques de la personne, bien que sans contact, ne pourra être lue qu’à un centimètre de distance, par un lecteur spécifique lui impulsant une charge électrique activant la visibilité des données stockées.
De plus, les données transmises au lecteur seront cryptées, ne pouvant être décryptées qu’au moyen d’une clé électronique régalienne. Il sera donc impossible à un individu malveillant d’intercepter ces données, sachant que pour les intercepter à une distance de 10 mètres, outre le fait de posséder la clé de décryptage des données ainsi qu’un moyen d’activer la lisibilité des données par transmission d’une chargé électrique à la puce, il lui faudrait disposer d’une antenne de 10 mètres de hauteur.
Autrement dit, selon le rapporteur à l'Assemblée, l'art. 1er s'adresse principalement aux entreprises. Mais alors, pourquoi prétend-il qu'il ne s'agit que d'une reprise de l'art. 78-2 du Code de procédure pénale - lequel ne concerne que les contrôles d'identité effectués par les forces de l'ordre? Et pourquoi ce point, important, de la justification d'identité dans la "vie courante", pour reprendre les mots de la sénatrice Escoffier, n'a-t-il fait l'objet d'aucun débat?

Lors de l'examen de cet article, adopté, donc, et sans débats, le 29 juin 2011, il précise:
Preuve de l’identité
Le présent article propose de faire de la carte nationale d’identité ou du passeport français le moyen privilégié pour prouver son identité.
Il rappelle en premier lieu que l’identité d’une personne se prouve par tout moyen. Ce principe figure déjà à l’article 78-2 du code de procédure pénale, que le présent article n’entend pas modifier.
En second lieu, le présent article tend à faire de la carte nationale d’identité ou du passeport français « en cours de validité » le moyen privilégié pour prouver son identité.
Selon les informations recueillies par votre rapporteur auprès du ministère de l’intérieur, cette précision aurait un double intérêt :
—  d’une part, elle poserait clairement ce principe, de telle sorte qu’aucun opérateur économique ne pourrait exiger autre chose que l’un de ces deux documents d’un de ses clients pour prouver son identité. À l’inverse, la seule production de l’un de ces deux documents suffirait à prouver l’identité de la personne. Soulignons par exemple que la présentation du permis de conduire n’est pas acceptée par de nombreuses entreprises qui souhaitent s’assurer de l’identité de leurs clients.
—  d’autre part, elle permettait de s’assurer de la fiabilité du titre d’identité puisque l’État s’engage, durant toute la validité du document sur son authenticité. En revanche, quelques années après sa péremption, l’État n’est pas toujours en mesure d’apporter la même garantie. Par exemple, il est tenu de supprimer les données à caractère personnel après un délai de quinze ans.
Bien que le présent article ne prévoit pas qu’une carte nationale d’identité périmée ne permette pas de prouver son identité, le fait que la présentation de ce document en cours de validité apparaisse comme un moyen privilégié de la prouver implique qu’a contrario la production d’une carte périmée pourrait de moins en moins être acceptée aux mêmes fins.
Rappelons qu’aujourd’hui le ministère de l’intérieur précise, sur son site internet, que la CNI périmée « permet à son titulaire de certifier de son identité, même lorsqu’elle est périmée, sous réserve dans ce cas que la photo soit ressemblante ». Ceci est d’ailleurs confirmé par une communication de la CNIL du 18 février 2005 qui précise que la carte nationale d’identité « est valable dix ans, mais, même périmée, elle permet de justifier de son identité tant que la photo est ressemblante ».
À titre d’exemple, si un passager aérien d’un vol intérieur est tenu de justifier de son identité, il peut le faire au moyen d’une carte nationale d’identité périmée. Cette possibilité est confirmée par l’autorité administrative comme en témoigne la réponse du ministère de l’intérieur du 2 août 2008 à la question n°02572 (Sénat) :
« En effet, même pour accomplir un simple vol intérieur, ces passagers sont strictement tenus d’être en mesure de présenter un document attestant de leur identité. De même, s’agissant des vols directs entre la métropole et les collectivités d’outre-mer, et dès lors que ce type de trajet emporte nécessairement le franchissement d’une frontière extérieure de l’espace Schengen, la carte nationale d’identité (même périmée) peut être exigée afin de justifier de sa qualité de citoyen de l’Union européenne et du droit communautaire à la libre circulation qui s’y rattache. »
Il est vrai que l’article premier du décret n° 55-1397 du 22 octobre 1955 instituant la carte nationale d’identité prévoit qu’il est « institué une carte nationale certifiant l’identité de son titulaire ». De même, l’article premier du décret n° 2005-1726 du 30 décembre 2005 relatif aux passeports précise que les passeports « certifient l’identité de leur titulaire ».
Aucun de ces deux textes, de valeur réglementaire, ne réservait un effet juridique particulier à ces titres d’identité en cours de validité.
Cet article n’a pas été modifié au cours de l’examen de la proposition de loi par le Sénat.
Cela confirme en tous points nos remarques ci-dessus concernant la nouveauté de cet article à l'égard de la validité des titres d'identité et de voyage. Soulignons également le raisonnement a contrario que Ph. Goujon effectue, lequel est tout à fait analogue à celui effectué dans notre précédent billet.

Les débats à l'AN du 7 juillet 2011

Lors de l'examen en séance publique devant l'Assemblée, le 7 juillet 2011, Guéant ré-affirme que cette carte est "gratuite et facultative", et ignore donc les points soulevés par le rapport de Ph. Goujon. Ce dernier n'évoque pas non plus ces aspects. Serge Blisko (PS) évoque alors, au sujet de la reconnaissance faciale, "un avenir assez inquiétant et qui ne relève pas seulement de la science-fiction". Il se trompe ensuite, en indiquant :
à ce jour, la collecte d’empreintes digitales ne s’effectue que pour la délivrance d’un passeport puisqu’il n’y en a pas sur nos cartes d’identité plastifiées. Les personnes n’ayant pas besoin d’un passeport et ne souhaitant pas donner leurs empreintes – hors enquête de police – pouvaient simplement demander une carte nationale d’identité. Désormais, il n’y aura plus de choix : pour obtenir un titre d’identité ou de voyage, la collecte de données biométriques sera systématique.
Or, on l'a vu, le décret de 1999 modifiant le décret de 1955 sur la carte d'identité impose le relevé d'une empreinte digitale, laquelle n'est effectivement pas stockée sur la carté d'identité, ni sur un fichier informatisé.

Serge Blisko, qui demande au nom du PS le retrait du texte afin d'obtenir les avis de la CNCDH (Commission nationale consultative des droits de l'homme) et du Conseil d'Etat, cite alors un extrait de la loi du 27 octobre 1940, promulguée sous Vichy:
« Obligation de détenir une carte d’identité à partir de seize ans, comportant les empreintes digitales et la photographie, et de déclarer tout changement d’adresse. Institution d’un fichier central de la population et d’un numéro d’identification individuel. »
En réponse, Guéant persiste et signe:
Je précise par ailleurs qu’il ne s’agit pas d’un fichage général de la population. Comme vous l’avez du reste indiqué au détour d’un autre développement [qui a du nous échapper...], la détention de la carte d’identité électronique n’est pas une obligation.
Jean-Paul Lecoq (PCF) le reprend, évoquant pour la première fois lors de ce débat la question des contrôles au faciès, pourtant centrale vu le cadre :
Pour l’instant, j’en reste à ce qu’a dit M. le ministre, à savoir que la carte d’identité n’est pas obligatoire. Certes, mais il faut tout le temps justifier son identité ou, du moins, de plus en plus souvent, notamment dans le métro, a fortiori si l’on présente certaines particularités physiques.
Sandrine Mazetier (PS) rappelle alors la tendance à l’œuvre vers l'obligation de s'identifier à tout bout de champ - l'un des motifs, ajoutons, de la loi sur le voile... :
La vérification d’identité n’est plus aujourd’hui l’apanage des policiers. Pas plus tard qu’hier, en commission des affaires économiques, à l’occasion de l’examen du projet de loi sur les droits, la protection et l’information des consommateurs, les agents de la DGCCRF ont ainsi été autorisés à vérifier l’identité d’un éventuel ou présumé contrevenant. Les agents habilités à procéder à des vérifications d’identité et qui auront demain accès à ces fichiers sont donc de plus en plus nombreux.
La navette et l'usage rhétorique du caractère facultatif en droit de la CNI 

Le Sénat ignore purement et simplement l'art. 1 en deuxième lecture. Lorsque le texte est ré-examiné par l'Assemblée, le 13 décembre 2011, le rapporteur Goujon s'appuie à nouveau sur le supposé caractère facultatif de la CNI pour justifier le fichage, prétendu "administratif" :
Il s’agit d’un fichier administratif et non de police, qui concerne 45 millions de personnes – et non 60, puisque la carte d’identité est facultative.
Il réitère le même jour, en séance publique.

Le texte passant en Commission mixte paritaire, la sénatrice Virginie Klès déclare alors, en séance du 26 janvier 2012, après son épique métaphore des chaussettes illustrant le débat lien fort/lien faible:
Il ne m’a pas échappé que la détention de la carte nationale d’identité n’est pas légalement obligatoire. Mais dans la vie courante, elle l’est. Pour partir en voyage scolaire, au collège, nos enfants ont besoin d’une carte nationale d’identité.
Détail de la vie pratique qui avait sans doute échappé aux mâles parlementaires...  Lors du nouvel examen, par le Sénat, le 21 février 2012, la sénatrice Esther Benbassa, qui s'oppose, au nom des Verts, à tout fichier biométrique, fût-il à "lien faible", évoque à son tour le caractère obligatoire de la carte d'identité des Français mise en place par Vichy. A.-M. Escoffier, quant à elle, déclare:
Le texte initial, enrichi, il faut l’admettre, au cours des différentes lectures (...), devait permettre à tout un chacun d’apporter par tout moyen la preuve de son identité. La nouvelle carte d’identité, qui reste au demeurant un titre non obligatoire, pouvait être utilisée comme un instrument non seulement d’authentification lors de démarches administratives, mais aussi de transaction commerciale sur Internet, si son propriétaire le souhaitait. (...)
Aujourd’hui, le tout-sécuritaire nous enserre, nous étouffe !
Virginie Klès revient à la charge, suggérant un amendement provocateur à l'art. 5 instaurant le fichier, lequel exigerait le consentement de chacun à être fiché, rendant de fait le fichier facultatif :
On nous dit aussi que la carte d’identité n’est pas obligatoire, ce qui est vrai sur le plan légal ; dans la pratique, elle l’est. Posons la question à chaque Français lors de la délivrance de sa carte d’identité, en lui expliquant que ses données figureront dans une base à lien fort.
Enfin, lors de la lecture définitive du texte à l'Assemblée, le 29 février 2012, le rapporteur Goujon insiste à nouveau, à plusieurs reprises sur le caractère prétendument facultatif de la CNI. Il s'exclame même, après une intervention de J.-J. Urvoas (PS) s'inquiétant de l'étendue du fichier, "La carte d’identité est facultative !"


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lundi 28 mai 2012

L'identité électronique, pour l'Etat, les enfants ou le marché ?

Ecartée de justesse par le Conseil constitutionnel, l'identité électronique revient par la porte de... Bruxelles ! 

Le prétexte en est une Communication de la Commission européenne concernant la protection des enfants sur Internet, qui propose un « cadre paneuropéen d'authentification électronique ». 

"Tellement plus qu’une simple carte d’identité"...
En fait, cette énième communication s'insère dans le cadre bien plus large et plus que confus, qui mélange sécurité, cybercriminalité et « lutte contre la criminalité liée à l'identité » d'un côté, et marché (numérique) unique et développement de l'économie numérique et de la « société de l'information » de l'autre. 

Ainsi, la « stratégie numérique de l'Europe » de 2010 se prolonge dans le Livre vert de janvier 2012 prônant la mise en place d'un marché unique numérique et d'un « espace unique de paiement en euros » sur Internet – on a bien lu : en janvier 2012, la Grèce ayant été le sujet d'un énième sommet extraordinaire visant à éviter l'éclatement de la zone euro et le retour de la drachme, la Commission européenne n'a d'autres priorités que d'instaurer un « espace unique de paiement en euros » sur Internet. Et utilise aujourd'hui la lutte contre la pédopornographie comme outil pour ce faire...  

L'authentification électronique et le filtrage d'Internet par tranche d'âge pour lutter contre la pédopornographie ?

Les sites Euractiv et ZDNet, 03/05/12 ont récemment cité la version de travail d'une communication de la Commission : cette « Stratégie européenne pour un Internet mieux adapté aux enfants » indique que les « entreprises doivent (…) mettre en œuvre des moyens techniques d'identification et d'authentification électroniques » et que Bruxelles « entend proposer en 2012 un cadre paneuropéen d'authentification électronique qui permettra d'utiliser des attributs personnels (l'âge en particulier) pour garantir le respect des dispositions, en ce qui concerne l'âge, du règlement proposé sur la protection des données » et « soutiendra la R&D en vue de mettre au point et de déployer des moyens techniques d'identification et d'authentification électroniques dans certains services à travers l'UE. »

Il s'agirait donc de rassurer des parents angoissés par l'immensité des espaces infinis offerts à l'innocence de l'enfance en les incitant à acheter des lecteurs d'authentification électronique, qu'ils brancheraient sur leur ordinateur et qui permettrait à chaque site web de vérifier l'âge de l'internaute. Une manière de filtrer Internet par tranche d'âge, en mettant en place une carte d'identité électronique.

La carte d'identité électronique et l'espace unique de paiement en euros, ou le mélange des genres

Ce projet de protection de l'enfance n'est pourtant que le sous-marin d'un programme autrement plus « sérieux » de l'Union européenne (UE), qui vise à généraliser la carte d'identité électronique, dans une triple optique d'e-administration, d'e-commerce et de sécurité policière.

Tout cela peut se combiner assez bien, comme on le voit avec la eID belge, dont le principe a été établi par la loi du 25 mars 2003 : en janvier 2010, le ministre de l'ICT Quickenborne annonçait la possibilité d'acheter en ligne son ticket pour un match de football, ce qui présente l'avantage non négligeable dans la lutte contre cet autre fléau des temps modernes, le hooliganisme, puisque « les numéros de la place et de la carte d'identité aboutiraient ainsi dans une base de données » (Le Vif, 14/01/11). Bien qu'un an après, on ne puisse parler de succès, le contrôle d'accès se révélant trop cher pour les stades, la ministre de l'Intérieur Turtelboom annonçait en avril 2011 souhaiter interdire l'accès aux piscines des fauteurs de trouble, « comme c'est le cas pour les hooligans dans les stades » (7 sur 7, 27/04/11). Et les machines à sous contraintes de s'équiper de lecteurs de l'eID...

Au niveau européen, ce mélange des genres commence par le « plan d'action de mise en œuvre du programme de Stockholm » concernant l' « espace de liberté, de sécurité et de justice » (avril 2010), lequel évoque en passant une « stratégie européenne de gestion de l'identité ». Cet « espace de sécurité » a été communautarisé par le traité de Lisbonne (2009), à l'exception notable des cartes d'identité et des passeports (art. 77 TFUE). Or, on voit ré-apparaître cette fameuse stratégie européenne dès le mois suivant, dans une communication portant cette fois-ci sur la « stratégie numérique pour l'Europe », qui prévoit notamment la mise en place du très haut débit, la révision de la directive de 1999 sur les signatures électroniques, et la mise en place d'un « espace uniquement de paiement en euros » (EUPE).

En fait, dès la fin des années 1990, de tels projets d'identité électronique, le cas échéant via une identification biométrique, étaient évoqués par les autorités françaises et européennes. On pensait alors que cela allait relancer la croissance et favoriser l'émergence de la « société de l'information » : on ne pourra guère accuser Bruxelles d'avoir changé son fusil d'épaule ! Mais le 11 septembre est passé par là, et on s'est attaché plutôt à la biométrisation des passeports (règlement européen de 2004). Un an plus tard, la déclaration ministérielle de Manchester fixait à 2010 la deadline pour que les « entreprises et les citoyens européens [puissent] bénéficier de moyens sûrs d'identification électronique » et qu'un « cadre de référence » voire « d'usage de documents électroniques authentifiés » soit adopté par chaque Etat membre.

L'épisode INES et la carte d'identité biométrique en France

Alors que le Royaume-Uni proposait, puis retirait, son projet de carte d'identité biométrique, eut lieu en France l'épisode d'INES (identité nationale électronique sécurisée) : porté par Sarkozy, le projet était retiré suite aux critiques portant sur le mélange des genres, entre carte nationale d'identification et authentification électronique à visée commerciale. Amalgame reproduit dans la proposition de loi relative à la « protection de l'identité », qui vient d'être amputée par le Conseil constitutionnel. Outre le « fichier des gens honnêtes » - censuré - et une puce contenant les données biométriques du porteur - validée -, cette loi prévoyait une autre puce, facultative, lui « permettant de s'identifier sur les réseaux de communications électroniques et de mettre en œuvre sa signature électronique ».

Les Sages se sont auto-saisis de cette disposition, et l'ont censuré au motif que le législateur méconnaissait l'étendue de sa compétence : la loi aurait du préciser les modalités de cette authentification électronique visant à favoriser l'e-administration et l'e-commerce, dans la mesure où elle implique des enjeux liés à la protection de la vie privée et des données personnelles.

L'identité électronique selon l'ANTS-GIXEL

L'UMP avait en effet préféré laissé l'Agence nationale des titres sécurisés (ANTS) s'occuper de ces questions d'apparence « techniques », ce que l'ANTS s'était empressée de faire en collaboration avec... le GIXEL, à savoir le lobby de l'industrie de la carte à puce, qui avait lui-même fortement poussé à l'adoption d'INES puis de la carte d'identité biométrique, et qui s'était fait connaître par sa suggestion d'habituer dès la maternelle les enfants aux dispositifs sécuritaires, notamment via les contrôles d'accès biométriques dans les cantines.




Extrait du documentaire Total Control (Novaprod), réalisé par Etienne Labroue et diffusé en juin 2006 sur Arte.

Pendant que les parlementaires s'étripaient sur le « lien fort » contra le « lien faible », bien peu, au PS, ne remettant en cause le principe même du fichier biométrique, l'ANTS-GIXEL était à pied-d'oeuvre, sur la lancée du programme de recherche financé par l'UE, BioP@ss, qui envisageait deux moyens d'authentification de l'internaute-citoyen-consommateur : soit le traditionnel mot de passe/code PIN, soit la technologie biométrique Match-on-Card, faisant appel à l'empreinte digitale.

Prudente, l'ANTS-GIXEL se contenta de respecter les normes de l'European Citizen Card (ECC) et développa la version française de ce standard, le IAS-ECC. Ainsi, le dernier document technique, de septembre 2011, excluait la biométrie de son champ d'application, en développant un système d'identité électronique en triangle, sur le modèle d'un tiers « fournisseur d'identité » devant valider l'identité de l'internaute pour le site Internet, qu'il soit gouvernemental (modèle de l'e-administration, tel que mis en œuvre au Portugal – cf. schéma ci-dessous) ou commercial (modèle du e-commerce).



Agence de la modernisation administrative (Portugal), la "carte de citoyenneté" (mai 2012).



Le mépris du peuple et la stratégie de légitimation circulaire de la Commission et des Etats

On constate la volonté persistante, tant des Etats que de la Commission, d'imposer à tout prix l'identité électronique, si possible en la cumulant avec la carte nationale d'identité et la biométrie, permettant ainsi de développer, pourquoi pas, la reconnaissance faciale en association avec l'explosion de la vidéo-surveillance. Qu'importe si la contestation de tels projets conduit à les abandonner, comme en France ou au Royaume-Uni.

Les gouvernements reviennent périodiquement à la charge, au risque du paradoxe. Ainsi, lorsque NKM, alors secrétaire d'Etat à l'économie numérique, prônait la mise en place d'IDéNum et d'un « identifiant unique » pour toute relation avec l'administration en ligne, alors même que les experts notaient que «  la création d’un Identifiant Unique [avait] augmenté la fraude à l’identité aux USA en la rendant plus facile et plus rentable » (cf. Vos Papiers! , 16/02/10). 

Et lorsque cela ne marche pas dans l'enceinte nationale, ils se font fort d'en mandater la Commission européenne à travers le Conseil européen, dans une stratégie de légitimation circulaire. Ainsi, en décembre 2010 le Conseil JAI (Justice et Affaires intérieures) justifie le concept large de « lutte contre la criminalité liée à l'identité » précisément parce qu'il « permet d'éviter de plus amples discussions sur les définitions », et de passer outre la différence d'approche des différents pays. Il « appelle » dès lors la Commission à « soutenir les efforts des Etats membres visant à renforcer les procédures d'identification des personnes au sein de l'UE », en citant notamment le plan d'action de mise en œuvre du programme de Stockholm élaboré en avril 2010 par Bruxelles, plan qui évoquait la fameuse « stratégie européenne de gestion de l'identité ». 

Or, ce plan d'action n'était censé n'être que la mise en musique du programme de Stockholm - fixé par le Conseil européen -, lequel indiquait que « le recours à la signature électronique devrait être encouragé dans le cadre du projet « justice en ligne » » et que cela pourrait permettre d'envisager, à terme, la création d' « actes authentiques européens », en supprimant « toute formalité de légalisation des actes entre les Etats membres ». S'il était question des fraudes en matière de permis de séjour et de visas, ce programme - contrairement au plan d'action, fixé par la Commission - n'envisageait aucune « stratégie de gestion de l'identité », pas plus qu'il n'évoquait la lutte contre « l'usurpation d'identité ». Il s'agit là d'une trouvaille de la Commission européenne, que les Etats membres ont rapidement entériné, et recyclé, comme on l'a vu, dans le débat national.

La stratégie numérique de l'Europe ou la « fracture numérique » : comment, et pour quoi faire, des questions non posées...

Bruxelles recycla ensuite le concept de « gestion de l'identité », issu du prisme sécuritaire, dans sa « stratégie numérique pour l'Europe » de mai 2010. Se targuant de sa vision à long terme fondée sur sa « stratégie Europe 2020 », la Commission nous explique que l'« économie numérique » est l'avenir de la « croissance intelligente, durable et inclusive ». Evoquant l'importance à venir du secteur des TIC (technologies de l'information et de la communication), dont on ne sait si ce sont les bâtisseurs des autoroutes de l'information (câbles et fibres optiques, très haut débit soutenu à bout de bras par le GIXEL) ou les marchands de données personnelles et les publicitaires – de Google à Facebook – qui en représentent le cœur, la Commission prétend ainsi que la faiblesse actuelle de l'économie numérique s'explique principalement par trois raisons : les « problèmes de sécurité des paiements », les « problèmes de respect de la vie privée » et les « problèmes de confiance ».

Pour preuve et comme gage de sa légitimité populaire, elle renvoie à un sondage Eurostat 2009, qui indique en fait que plus de 60% des personnes interrogées ont coché la case « Je préfère aller en boutique, voir le produit, fidélité aux commerçants, force de l'habitude », une habitude et une fidélité que ne goûte guère Bruxelles, et que plus de 50% des sondés ont, d'un trait lapidaire, coché « Je n'en ai pas besoin ». La sécurité des paiements n'arrive en fait que troisième, à un peu plus de 30%, avec ensuite environ 10% des sondés qui ont le mauvais goût de ne pas avoir « de carte permettant de payer sur Internet » ou de se plaindre de la « livraison des produits commandés sur Internet ».

Qu'à cela ne tienne ! Si «  150 millions d'Européens – soit environ 30% - n'ont encore jamais utilisé l'internet » (un autre rapport affirme qu'en 2009, 60% des citoyens européens de 16 à 74 ans utilisaient Internet au moins une fois par semaine), c'est tout simplement parce que ce sont des analphabètes modernes, victimes de la « fracture numérique ». Même si la Commission avoue que, certes, ces illettrés numériques sont surtout âgés, au chômage, pauvres ou dotés d'un « faible niveau d'études », on intégrera les « membres des catégories sociales défavorisées dans la société numérique », notamment grâce à « l'apprentissage, l'administration et la santé en ligne » ! Qui ne voit donc qu'il vaut mieux fermer les écoles et les hôpitaux, et centraliser les services administratifs, afin de tout mettre en ligne, où il suffit d'un click de mulet pour être aimablement reçu ? Certes, il faudra, pour cela, leur enseigner la « compétence numérique », l'une des « huit compétences clés (…) considérées comme fondamentales pour un individu vivant dans la société de la connaissance », comme l'avait bien vu la Recommandation du Parlement et du Conseil sur la formation permanente (2006/962/CE). Ayant cependant lu Kant et Jules Ferry, nos éducateurs n'oublient pas de préciser que « pour être en mesure d'apprendre, il est essentiel de maîtriser les compétences de base dans les langues, l'écriture et la lecture, le calcul et les technologies de l'information et de la communication (TIC), et pour toute activité d'apprentissage, il est fondamental d'apprendre à apprendre. » Voilà un conseil idoine pour notre chère ministre déléguée chargée de la réussite éducative, George Pau-Langevin...

A lire cette prose, qui sous-entend que les 60% de personnes interrogées préférant faire du commerce « en vrai » plutôt que d'acheter sur Internet seraient, en fait, des illettrés numériques, terrifiés par le manque de confiance et les risques de « vol d'identité » et de fraude bancaire, on se demande qui tient la plume à Bruxelles ?

Relisons, pour la forme, ces injonctions du GIXEL, lequel estimait qu'il était « urgent de lancer le projet de déploiement national de la Carte Nationale d'Identité Electronique et des outils sécurisés IdéNum basé sur l'écosystème IAS ECC ». Ou encore le célèbre Livre bleu du GIXEL de juillet 2004, qui militait pour l' « Internet Très Haut Débit », la « Télévision Haute Définition », l' « Automobile intelligente et sécurisée », la « domotique », les « TIC pour la santé », et l' « identité numérique » et la « sécurité du territoire » via la biométrisation.

Il s'agissait aussi de « réduire la « fracture numérique » », de « réformer l'administration pour réduire les coûts de fonctionnement de l'Etat » en généralisant « les applications de type e-gouvernement et e-éducation » et ainsi « faire « basculer » les administrations, nationales et locales, les services publics vers une utilisation massive des nouvelles technologies, dont le haut débit constitue un point de passage obligé »... et profitable ! Pour le haut débit, on pourrait fixer « de façon volontariste » des « objectifs quantifiés », ce que fait Bruxelles via ses objectifs de benchmarking. Enfin, habituer dès la maternelle les enfants, mais aussi favoriser l'identité numérique, et ainsi permettre aux firmes françaises et européennes de « conforter leur place dans le monde en faisant référence à des réalisations concrètes de grande ampleur en Europe », du e-paiement à l'utilisation des téléphones pour les achats en passant par les contrôles d'accès, physique ou logique (sécurité informatique).

L'espace unique de paiements en euros, priorité pour 2012-2020 ?

Toutes ces initiatives, qui concordaient déjà avec les programmes de recherche bénéficiant des subsides de l'Europe, demeurent, huit ans plus tard, plus que d'actualité – du moins aux yeux de Bruxelles et des Etats membres.

Développant la « stratégie numérique » de 2011, la Commission publiait en janvier 2012 un Livre Vert intitulé "Vers un marché européen intégré des paiements par carte, par internet et par téléphone mobile". On y lit :
« Le SEPA (espace unique de paiements en euros, EUPE), qui constitue la première grande étape de ce parcours, repose sur l’idée première qu’il ne devrait pas y avoir de distinction dans l'UE entre les paiements de détail électroniques en euros selon qu'ils sont transfrontaliers ou nationaux. »
Le Livre continuait : «  L'Europe a [ainsi] l’occasion d’être à la pointe du progrès pour gérer les évolutions futures de l’«acte de payer», qu'il s'effectue par carte de paiement, sur internet ou à l’aide d’un téléphone portable ».

C'est ce marché unique, y compris pour les sites pour enfants, qui est l'objectif central de Bruxelles, à l'heure de l'implosion de la zone euro. Bruxelles, soutenu par les Etats, ignore, pour ce faire, tant les résistances citoyennes, en France et au Royaume-Uni, que les différences sociales et culturelles entre pays concernant l'encartement et l'identification biométrique.

Pendant ce temps-là, Londres, dont le projet de carte identité biométrique est tombé à l'eau, tente de réorienter le débat vers la gestion privée de l'identité, à savoir le fait que l'identité électronique ne soit pas garantie par l'Etat, mais par des fournisseurs privés. On s'étonne d'ailleurs de ce que les libéraux ne défendent pas davantage ce modèle, préférant entretenir le mélange des genres entre identité certifiée par l'Etat, à des fins d'état civil et de sécurité, et identité électronique visant à généraliser le commerce électronique. 
 

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vendredi 18 mai 2012

La gauche et l'avenir de la reconnaissance faciale (2)

La technique, déjà ancienne, des caméras de surveillance a pris un bain de jouvence, à la fois technique et juridique, sous le quinquennat Sarkozy. A tel point qu'on peut se demander si, pour une fois, le droit ne précéderait pas la technique plutôt que de courir après. Or la nomination de Manuel Valls, comme nous le rappelons dans le premier volet de cette chronique saluant l'arrivée de la gauche au pouvoir, n'est pas un signe de rupture vis-à-vis des velléités d'instaurer la reconnaissance biométrique des visages, ou le contrôle d'identité à distance, 24/24.

Les caméras, le fichier des "honnêtes voyageurs" et la reconnaissance faciale

La juriste Geneviève Kouby a relevé la circulaire de novembre 2011, qui interprète la jurisprudence ô combien conciliante du Conseil d'Etat comme permettant de soustraire à l'autorisation de la CNIL les caméras installées dans des lieux publics, dès lors que par elles-mêmes, « l’identification des personnes physiques, du fait des fonctionnalités qu’ils comportent (reconnaissance faciale notamment) », n'est pas possible (Droit Cri-Tic, 17/09/11).

Façon de dire, très explicitement, que rien n'empêche, après coup, selon les mots de la circulaire, « par exemple, la comparaison d’images enregistrées et de la photographie d’une personne figurant dans un fichier nominatif tiers ». Bref, selon cette interprétation, la CNIL n'a aucun mot à dire sur l'installation de vidéos dont les images pourraient être comparées aux photographies numérisées de citoyens, lesquelles sont stockées sur des fichiers centraux, tels le fichier TES, ou fichier des passeports.

Le fait que l'art. 8 du décret instaurant ce fichier des « honnêtes voyageurs » indique que « le traitement ne comporte ni dispositif de reconnaissance faciale à partir de l’image numérisée du visage ni dispositif de recherche permettant l’identification à partir de l’image numérisée des empreintes digitales enregistrées » a paru suffisant au Conseil d'Etat pour légaliser celui-ci (Vos Papiers! du 20/11/11). Une garantie juridique bien fragile, dès lors que la vidéo-surveillance se généralise, et que se mettent en place, «par exemple », des logiciels permettant de relier leurs images aux banques de données de l'Etat.

Les cadeaux empoisonnés de Guéant : GASPARD le clandestin et la reconnaissance du visage

Les cadeaux de départ de Claude Guéant sont à ce titre éloquent, puisque son décret du 4 mai 2012 créant un nouveau fichier, dit des « antécédents judiciaires » (dit TPJ ou TAJ), pour remplacer les tristement célèbres STIC et JUDEX (voir l'épilogue salé de l'affaire Ali Soumaré), précise qu'est enregistrée la «photographie comportant des caractéristiques techniques permettant de recourir à un dispositif de reconnaissance faciale (photographie du visage de face) » (art. 1 - pour une durée de 20 à 40 ans...). 

La CNIL en profita pour avouer son impuissance face à ces fichiers de police. La réforme de 2004 de la loi Informatique et libertés de 1978, votée par son (ex)-président A. Türk, substitua en effet à l'avis conforme de la CNIL un simple avis consultatif, sans aucune valeur contraignante, lorsqu'il y va des fichiers de police. Dans sa délibération sur ces fichiers Guéant, la CNIL « estime [ainsi] que la publication de l'avis motivé de la Commission sur les textes qui lui sont soumis constitue précisément une [des] garanties » du respect de la loi de 1978. Façon de rappeler en quelle estime elle a été tenue, depuis 10 ans, par l'Intérieur ? 

Cette faiblesse de la CNIL est cruellement rappelée par le décret, qui se contente, sans même la peine de créer un lien hypertexte dans la version électronique du JO, de viser « les avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés en date du 7 juillet et du 6 octobre 2011 » ; le décret de 2001 légalisant le STIC visait « l'avis conforme de la Commission nationale de l'informatique et des libertés en date du 19 décembre 2000 » ... Et à l'époque, les liens hypertextes n'étaient pas à la mode chez les juristes. Un jour, peut-être, ceux-ci déduiront-ils la hiérarchie et la cohérence des normes de ces liens ?

Si ces preuves de faiblesse n'étaient pas suffisantes, la CNIL le montre à nouveau en relevant l'existence d'un fichier illégal, le sympathique GASPARD, pour lequel elle n'a jamais été consultée, pas plus qu'aucun décret n'a été publié. En effet, les «photographies signalétiques seront enregistrées dans le traitement GASPARD (gestion automatisée des signalements et des photographies anthropométriques répertoriés et distribuables), lequel enrichira le traitement TPJ de données photographiques via le traitement LRPPN » ; or, GASPARD « n'a pas fait l'objet des formalités prévues par la loi du 6 janvier 1978 modifiée ».

Le contrôle d'identité à distance, 24h/24, ou quand le droit devance la technique

Puisqu'il a fallu attendre la « gauche plurielle » pour que le STIC soit légalisé, peut-être que GASPARD le sera bientôt... Vu la fascination de M. Valls pour la vidéosurveillance, on doute qu'il abroge le fichier TPJ/TAJ et son acolyte GASPARD.  D'autant plus que son ami Alain Bauer, plaidait, dans son Livre blanc sur la sécurité remis en octobre dernier à Claude Guéant, en faveur de la reconnaissance faciale (Le Monde, 26/10/11). Laquelle, davantage qu'un Bertillon 2.0, s'apparente plutôt à un contrôle d'identité généralisé et permanent de tous les passants de France ! Et dire que des scientifiques travaillent à permettre à ces caméras de repérer l'humeur des passants !

Ce n'est pas la CNIL qui réclamera cette abrogation, puisqu'elle se contente de constater que « l'application TPJ permettra la comparaison automatisée de photographies, notamment la comparaison biométrique de l'image du visage des personnes » en comparant « à la base des photographies signalétiques du traitement, les images du visage de personnes impliquées dans la commission d'infractions captées via des dispositifs de vidéoprotection » (sic). Et de demander - tant d'audace ! - à « être informée, à l'occasion de la remise du rapport annuel de fonctionnement prévu par le projet de décret, de l'utilisation faite de cette fonctionnalité ainsi que de son éventuelle évolution technique.»

Peut-être M. Valls saura-t-il reconnaître qu'il s'agit-là d'une pente glissante... peut-être que l'Elysée et Matignon seront sensibles aux voix de, par exemple, Jean-Jacques Urvoas, qui s'est opposé au fichage biométrique généralisé.

Si ce n'était pas le cas, il faudrait voir dans les lois, décrets et circulaires passées sous Sarkozy un cas inédit où plutôt que de courir après la technique, le droit précède celle-ci : alors même que les dispositifs de reconnaissance faciale, dont on nous parle depuis la finale du Superbowl à Tampa (Floride) en janvier 2001, ne sont toujours pas d'une fiabilité absolue, le cadre juridique est fin prêt à accueillir leur perfectionnement technique et la généralisation dans toutes les villes de France des caméras de vidéosurveillance.

Quand Alain Bauer critique la RGPP... 

Après avoir dit tout ce mal de la bande à Bauer, sachons-lui gré d'avoir déclaré, dans son entretien à Marianne suite à ses démissions, que:
La RGPP [révision générale des politiques publiques] est plus un outil d’éradication comptable que d'optimisation. Il est normal d’être comptable de l’utilisation des deniers publics quand on est policier. Mais on ne peut pas ratiboiser une profession de ce genre, pas plus qu’on ne peut le faire avec les infirmières.
Toute la technologie du Pentagone ne remplacera pas, en effet, les effectifs humains, hommes ou femmes !

Ajout 21 mai

Valls a nommé Renaud Vedel comme directeur adjoint de cabinet, « jeune énarque » décrit par Le Monde comme « protégé d'Alain Bauer », nommé il y a peu par Sarkozy préfet, et qui a fait « l'essentiel de sa carrière » chez Michel Gaudin, proche de Sarko qui avait été nommé préfet de police de Paris en 2007... Et L'Express indique que Valls devrait fournir aux policiers mis en cause pour bavure une « aide juridique », ce qui fera plaisir au groupe hip-hop La Rumeur (dernier album en écoute libre), spécialiste des conscious lyrics, poursuivi des années durant par l'énervement de l'ex-président face à trois phrases pourtant banales :

« Les rapports du ministre de l'Intérieur ne feront jamais état des centaines de nos frères abattus par les forces de police sans qu'aucun des assassins n'ait été inquiété » ;

« La justice pour les jeunes assassinés par la police disparaît sous le colosse slogan médiatique "Touche pas à mon pote" » ;
 

« La réalité est que vivre aujourd'hui dans nos quartiers c'est avoir plus de chance de vivre des situations d'abandon économique, de fragilisation psychologique, de discrimination à l'embauche, de précarité du logement, d'humiliations policières régulières » .


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La gauche et l'avenir de la reconnaissance faciale (1)

Clemenceau décapite la CGT
Chronique pour saluer, en quatre temps, l'avènement de la gauche au pouvoir...

En vrac, dans ce premier volet, l'indéboulonnable Alain Bauer, l'utilisation à des fins de recherche familiale du fichier ADN, l'indignation des salariés de la mairie de Garges-lès-Gonesse face à la biométrie, Jules Ferry, Clemenceau et Manuel Valls, son amour pour le cinéma, et, dans le second billet,  l'héritage encombrant de Guéant et Sarkozy, avec en particulier le GASPARD clandestin de la police et la préparation minutieuse de la reconnaissance faciale - ou comment le droit devance la technique...

Valls avec Bauer

Après avoir été nommé à l'Observatoire national de la délinquance, en 2003, par le ministre de l'Intérieur Sarkozy, puis à la Commission nationale de la vidéo-surveillance par le président Nicolas, le « criminologue » Alain Bauer, ex-rocardien, a en effet toutes ses chances de survivre à l'alternance.

Le chef de la bande à Bauer a démissionné de ses responsabilités officielles pour ne pas hypothéquer, affirme-t-il dans Marianne, la nomination de son ami Manuel Valls place Beauvau.

Le fondateur de l'entreprise de conseil en sécurité urbaine AB Associates, nommé à la tête du Grand Orient de France en 2000, reste néanmoins président du Conseil national des activités privées de sécurité, censé réguler le secteur de la sécurité privée, poste auquel il a été élu en janvier 2012.

Et le parrain d'un des fils de Valls partage avec le nouveau ministre son goût pour la vidéosurveillance, qu'il a contribué à rebaptiser « vidéoprotection », dans un Que sais-je? de 2008, en hommage ironique à la novlangue orwellienne.

Fichez les familles

En évoquant, dans ces colonnes, les recours des « faucheurs volontaires » et du « désobéissant » Xavier Renou contre le fichier ADN, on avait souligné la possibilité technique d'utiliser celui-ci à des fins de recherche familiale. C'est désormais chose faite, puisque la police française a utilisé pour la première fois cette possibilité pour résoudre l'affaire Elodie Kulik. Aux 2% de la population française déjà fichés au FNAEG, il faut désormais ajouter tous leurs proches !

De Garges-lès-Gonesse à Jules Ferry et Clemenceau

Manuel Valls à peine nommé ministre de l'Intérieur, que France 3 Ile-de-France diffuse un reportage sur la pointeuse biométrique de la mairie de Garges-lès-Gonnesse (ici et ). 



On y entend, par exemple, une reprise de la rengaine de la campagne présidentielle sur la fraude, étendue aux salariés et aux collégiens (pour les paradis fiscaux, on reviendra...), ainsi que la juste indignation des employés de la mairie :
« Une ressource des gestions humaines jugée plus sûre qu'avec un simple badge.
« Donc la personne qui pointe à 8 heures du matin, c'est bien la personne qui pointe à 8 heures du matin. Donc elle va pas pouvoir passer ses doigt à quelqu'un d'autre. »
La biométrie est peut-être intéressante dans la lutte contre le terrorisme, mais pas dans le monde du travail, estime la CGT.
« C'est des technologies qui sont mises en œuvre pour sécuriser, pour lutter contre une certaine forme de délinquance. Le fait d'ouvrir les portes des entreprises à ces technologies, c'est une façon d'avoir une réaction vis-à-vis du personnel, en considérant que ceux-ci ne sont pas des gens de confiance.»
Même polémique dans les cantines scolaires. Avec la reconnaissance biométrique, les élèves peuvent moins frauder, mais ils sont fichés par une partie de leur corps. »
A Garges-lès-Gonnesse, la biométrie pour pointer (France 3, 17 mai 2012):

Ce reportage est-il une façon d'indiquer que le nouvel échec spectaculaire du projet de fichier national biométrique, remis à l'ordre du jour (après INES) par l'ex-président Sarkozy, n'implique en aucun cas la fin des luttes pour la protection des libertés publiques et de la vie privée, associative, syndicale et politique?

Faut-il au contraire voir dans la nomination de M. Valls, le «Monsieur Sécurité » du PS, un message de Hollande qu'on ne saurait le confondre avec la « gauche molle » ? Et que la politique de la mano dura, comme on dit en Amérique, est promise à un bel avenir ?

A propos de l'hommage du nouveau président à Jules Ferry, énergique pédagogue de toutes les « campagnes arriérées », préféré à Clemenceau, Le Monde (15/05/12) remarquait qu'il serait de mauvais goût de saluer en ces temps de crise son jeune rival impétueux, qui passa des bancs de l'extrême-gauche anti-impérialiste au poste de Premier flic de France et de «briseur de grèves », celles des mineurs du Pas-de-Calais comme le rappelle Salah Guemriche mais aussi de la journée sanglante de Draveil-Villeneuve-Saint-Georges au cours de laquelle un agent provocateur l'aida à décapiter la CGT...

Valls, un amoureux du cinéma ? 

Depuis 2001, Manuel Valls s'est illustré à la mairie d'Evry pour avoir généralisé la vidéo-surveillance; vu le constat de l'inefficacité de ces caméras dans la « lutte contre la délinquance», le chercheur Laurent Muchielli se demandait si elle ne « servait pas [d'abord] à faire de la politique auprès de ses électeurs » ... (Mediapart, 18/10/10). Une arrestation par caméra et par année, indiquait un rapport de la Chambre régional des comptes...

Certes, confronté à l'hémorragie de la police nationale, Valls a relevé, en dix ans, le nombre de policiers municipaux de 14 à... 40, ce qui en soit est une façon de répondre au sarkozysme, puisque la police nationale dispose aujourd'hui de moins d'effectifs qu'en 2001 - « dégraissage de mammouth » joliment résumé par Le Monde : « Ce que M. Sarkozy ministre de l'intérieur avait accordé aux policiers, M. Sarkozy président le leur a retiré. » (Policiers déprimés cherchent ministre à l'écoute, Le Monde, 10/05/12). 

Il l'a aussi armé, cette police. Dès lors, on peut se demander s'il reviendra sur le décret du 23 décembre 2011 étendant aux gardiens d'immeubles le port d'armes. Si la presse a amplement parlé de la décision de l'Etat grec de mettre sa police en location, elle a moins évoqué le fait, noté par G. Kouby lors de sa recension du décret sus-cité, que la France autorise désormais la police à former, contre monnaie sonnante et trébuchante, les services de sécurité privés.

Il semble cependant que le livre de Valls de 2011, Sécurité: la gauche peut tout changer, n'en dit guère plus sur son expérience municipale.

Lire la suite: La gauche et l'avenir de la reconnaissance faciale (2).

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